La
viande est pour nous la chair des animaux qu'on mange ; mais, en termes de chasseur,
viander se dit d'un cerf qui va pâturer ;
certes, le cerf pacifique ne va pas chercher une proie sanglante. Donc, dans
viande, l'accident pathologique porte sur la violence faite à la signification
naturelle et primitive. Dans la première moitié du dix-septième siècle, ce mot avait encore la plénitude de son acception, et signifiait tout ce qui sert comme
aliment à entretenir la vie. En effet, il vient du latin
vivendus, et ne peut, d'origine, avoir un sens restreint. Voyez ici combien, en certains cas, la destruction
marche vite. En moins de cent cinquante ans,
viande a perdu tout ce qui lui était propre. On ne serait plus compris à dire comme Malherbe, que la terre
produit une diversité de viandes qui se succèdent selon les saisons, ou, comme Mme de Sévigné, en appellant
viandes une salade de concombres
et des cerneaux. Pour l'usage moderne,
viande n'est plus que la chair des animaux de boucherie, ou de basse-cour, ou de chasse, que l'on sert sur les tables. Nous
n'aurions certes pas l'approbation de nos aïeux, s'ils voyaient ce qu'on a fait de mots excellents, pleins d'acceptions étendues et fidèles à l'idée fondamentale.
Vraiment, les barbares ne sont pas toujours ceux qu'on pense.