Les mots ne nous appartiennent pas ; ils proviennent non de notre fonds, mais d'une tradition. Nous ne pouvons en faire sans réserve ce que nous voulons, ni les séparer de leur
nature propre pour les transformer en purs signes de convention. On est donc toujours en droit de rechercher, dans les remaniements que l'usage leur inflige, ce qui reste, si peu que ce soit,
de leur acception primordiale et organique.
Épiloguer exista dans les quinzième et seizième siècles. Je n'en connais pas d'exemple qui
remonte plus haut, à moins qu'on ne suppose l'existence du verbe grâce à l'existence du substantif verbal, attestée au quatorzième siècle par une citation
de Du Gange : « Épilogacion, c'est longue chose briefment récitée. »
Épilogue,
epilogus,
ἐπίλογος,
signifient discours ajouté à un autre discours ; aussi le verbe qui en dérive n'a-t-il dans ces deux siècles que le sens de résumer, récapituler.
Jusque-là tout va de soi ; mais le dix-septième siècle, qui reçoit le mot, n'en respecte pas la signification, et il l'emploie sans vergogne au sens de critiquer,
trouver à redire. Est-ce pure fantaisie ? non, pas tout à fait ; dans ces écarts il y a de la fantaisie sans doute, mais il y a aussi un rémora imposé
par le passé. A ce terme manifestement d'origine savante et qui lui déplut comme terme courant, l'usage, en un moment d'humeur, s'avisa de lui infliger une signification péjorative ;
et, cela fait, on passa sans grande peine de résumer, récapituler, à critiquer, trouver à redire.