J'inscris
soupçon au compte de la pathologie, parce qu'il devrait être féminin comme il l'a été longtemps, et comme le montre son
doublet
suspicion.
Suspicion est un néologisme ; entendons-nous, un néologisme du seizième siècle. C'est
alors qu'on le forma crûment du latin
suspicionem. Antérieurement on ne connaissait que la forme organique
soupeçon,
où les éléments latins avaient reçu l'empreinte française.
Soupeçon est féminin, comme cela devait être, dans
tout le cours de la langue jusqu'au seizième siècle inclusivement. Puis tout à coup il devient masculin contre l'analogie. Nous connaissons deux cas où l'ancienne langue
avait attribué le masculin à ces noms féminins en
on :
la prison, mais à côté
le
prison, qui signifiait prisonnier et que nous avons perdu ;
la nourrisson, que nous n'avons plus et que nous avons remplacé par le scientifique
nutrition, et
le nourrisson, que nous avons gardé. Il y en avait peut-être d'autres. Si elle avait employé ce procédé
à l'égard de
soupeçon,
la soupeçon eût été
la suspicion,
et
le soupeçon eût été l'homme soupçonné. Notre
soupçon masculin est un solécisme
gratuit. En regard de
soupçon,
suspicion est assez peu nécessaire. Les deux significations se confondent par leur origine,
et l'usage n'y a pas introduit une grande nuance. La différence principale est que
suspicion n'est pas susceptible des diverses acceptions métaphoriques
que
soupçon reçoit.