Le latin
libertinus, qui a donné
libertin au français, ne signifie que fils d'affranchi. Pourtant, dans le seizième
siècle, premier moment où
libertin fait son apparition parmi nous, ce mot désigne uniquement celui qui s'affranchit des croyances et des pratiques
de la religion chrétienne. D'où vient une pareille déviation, et comment de fils d'affranchi l'usage a-t-il passé à l'acception d'homme émancipé
des dogmes théologiques ? Voici l'explication de ce petit problème : les
Actes des apôtres, VI, 9, font mention d'une synagogue des
libertins,
en grec
λιβερτίνων, en latin
libertinorum. Cette synagogue,
qui comptait sans doute des fils d'affranchis, était rangée parmi les synagogues formées d'étrangers. La traduction française de 1525 de Lefebvre d'Étaples
porte : « Aulcuns de la synagogue, laquelle est appellée des
libertins. » Ces
libertins furent suspectés
par les lecteurs de cette traduction de n'être pas parfaitement orthodoxes. De là, en français, le sens de
libertin, qui est exclusivement celui
d'homme rebelle aux croyances religieuses ; il prit origine dans le Nouveau Testament, fautivement interprété, et n'eut d'abord d'autre application qu'une application théologique.
Ce sens a duré pendant tout le dix-septième siècle ; aujourd'hui il est aboli ; et il faut se garder, quand on lit les auteurs du temps de Louis XIV, d'y prendre
ce vocable dans l'acception moderne. Mais il n'est pas difficile de voir comment cette même acception moderne est née. Le préjugé théologique attachait naturellement
un blâme à celui qui ne se soumettait pas aux croyances de la foi. De religieux, ce blâme ne tarda pas à devenir simplement moral ; et c'est ainsi que
libertin
s'est écarté de son origine, non pas pourtant au point de désigner toute offense à la morale ; il note particulièrement celle qui a pour objet les rapports
entre hommes et femmes.