Suffisant a ceci de pathologique qu'il a pris néologiquement un sens péjoratif que rien ne lui annonçait ; car ce qui suffit est toujours
bon. Bien plus, ce sens péjoratif est en contradiction avec l'acception propre du mot ; car tout défaut est une insuffisance, comme
défaut
l'indique par lui-même. On voit que
suffisant a été victime d'une rude entorse. Elle s'explique cependant, et, s'expliquant, se justifie jusqu'à
un certain point. Il existe un intermédiaire aujourd'hui oublié ; dans le seizième siècle, notre mot s'appliqua aux personnes et s'employa pour capable de ;
cela ne suscita point d'objection : un homme capable d'une chose est suffisant à cette chose. La construction de
suffisant avec un nom de personne ne plut
pas au dix-septième siècle ; du moins il ne s'en sert pas. En revanche et comme pour y marquer son déplaisir, il lui endossa un sens de dénigrement relatif à
un défaut de caractère, le défaut qui fait que l'on se croit fort capable et qu'on le témoigne par son air ; si bien que le
suffisant
ne
suffit qu'en apparence.