Il est dans l'Évangile un pauvre nommé Lazare, qui, couvert d'ulcères, gémit à la porte du riche. Le Moyen Âge spécifia davantage la maladie dont
ce pauvre homme était affecté, et il en fit un lépreux. Après cette spécification,
Ladre (Lázarus, avec l'accent sur
a,
a donné Ladre au français), perdant sa qualité de nom propre, est devenu un nom commun et signifie celui qui est affecté de lèpre. Ceci est un procédé
commun dans les langues. Les dérivations ne se sont pas arrêtées là. Le nom de la lèpre qui affecte l'homme a été transporté à une
maladie particulière à l'espèce porcine et qui rend la chair impropre aux usages alimentaires. A ce point, ayant de la sorte une double maladie physique qui diminue notablement
la sensibilité de la peau de l'individu, homme ou bête, on est passé (qui
on ?
on représente ici la tendance
des groupes linguistiques à modifier tantôt en bien, tantôt en mal, les mots et leurs significations), on est passé, dis-je, à un sens moral, attribuant à
ladre l'acception d'avare, de celui qui lésine, qui n'a égard ni à ses besoins ni à ceux des autres. Il n'y a aucune raison de médire
de ceux qui, les premiers, firent une telle application ; ils n'ont pas été mal avisés, si l'on ne considère que la suite des dérivations et l'enrichissement
du vocabulaire. Mais à un autre point de vue, qui aurait prédit au
Lazare de l'Evangile que son nom signifierait le vice de la lésinerie ?
et ne pourrait-on pas regretter qu'un pauvre digne de pitié ait servi de thème à une locution de dénigrement ? Heureusement, le jeu de l'accent a tout couvert.
Lazare est devenu
ladre ; et, quand on parle de l'un, personne ne songe à l'autre. Ainsi sont sauvés, quant aux apparences,
les respect dû à la souffrance et l'ingéniosité du parler courant.