La pensée et l'activité de John Bost paraissent dominées par ces paroles prophétiques que l'évangéliste a appliquées à Jésus. Sa vocation général : au ministère se concentra promptement sur l'œuvre particulière auprès de ceux qui souffrent, et ses compassions s'attachèrent aux plus abandonnés, aux déchets d'humanité, à ceux qu'ont toujours refusés les institutions officielles, ou officieuses, de la bienfaisance. John Bost a acquis d'emblée, et il conservera, une place à part dans « l'ordre de la charité », pour parler le langage de Pascal.
Chose à remarquer, s'il devint cet exceptionnel « miséricordieux », ce fut plutôt sous la pression des circonstances que par la poursuite de ses propres desseins. L'homme heureux, a-t-on dite est celui qui réalise dans son âge mûr le rêve de sa jeunesse. John Bost a fait mentir cette sentence péremptoire : peu d'hommes, en effet, ont été plus heureux que lui dans l'accomplissement de leur tâche quotidienne : mais ce que devaient être sa tâche et son bonheur, Bost ne l'avait en rien entrevu ni voulu dans les rêves de ses vingt ans.
Au bout de quelques années, ce foyer comptait dix fils. Six d'entre eux devaient suivre la carrière de leur père : et, en parlant de cette belle lignée pastorale, Ami Bost aimait à s'intituler « le père de tous les Bost ». Mais, quand grandissait autour de lui une si nombreuse famille — avec des ressources limitées — la vie ne pouvait être que souvent austère. On a raconté quelquefois l'anecdote suivante Un ami de Bost, invité pour quelques heures au presbytère, se promenait dans le jardin, admirait de belles prunes, puis répondait à Bost qui l'engageait à en manger quelques-unes : « Non, merci : il est trop tard, cela gâterait mon dîner. — C'est précisément ce que je désire, répliqua malicieusement le pasteur, car je n'ai à vous offrir que des pommes de terre et du sel. » Peut-être le granum salis était-il tout autant dans l'esprit de Bost que sur ses pommes de terre, et le pasteur ne résistait-il pas au plaisir de déconcerter son invité quelque peu sybarite.
À lire les Mémoires de Bost sur le Réveil, on saisit sur le vif le caractère nullement morose de l'auteur, sa piété joyeuse, attirante, pleine d'entrain. Il y eut pour lui, dans ce tempérament et cette tournure d'esprit, une vraie grâce de Dieu qui l'aida dans sa vie si agitée extérieurement.
Les Mémoires racontent deux anecdotes de renfonce de John : elles ne révèlent rien de très considérable : mais, à travers tes deux courts récits, nous entrevoyons ce qu'était cette famille pastorale, parents et enfants : « J'arrivais un jour de la ville à la campagne, raconte Ami Bost, lorsque je trouve à l'entrée de la maison mon petit John, alors âgé d'environ quatre ans, me montrant triomphalement une feuille de maculature qui avait trainé par la cuisine : —« Vois-tu, papa ! — C'est bon, c'est bon ! » lui-dis-je, un peu pressé. Mon petit homme se campe devant moi et d'un ton indigné : — « Tu n'aimes pas le bon Sauveur ! » — Sur une pareille interpellation il fallait bien se rendre : et je me mis à lire ce papier. — « Hein ! le bon berger », me dit-il avec joie. — C'était une mauvaise romance de quelque berger avec sa bergère : niais le cher petit ne connaissait encore d'autre berger que notre Sauveur. C'était l'interprétation pieuse du cantique des cantiques. »
Quelques mois après, Bost note un autre trait « Un soir mes deux aînés (Augustin et John) s'étaient mal conduits, je ne sais plus en quelle affaire : et leur mère, en les couchant, eut la légère imprudence (si même c'en fut une) de leur laisser, en fermant la porte, pour dernière parole : « Vous vous êtes conduits comme des enfants du diable ». Heureusement qu'elle eut l'occasion de retourner dans la chambre à coucher environ vingt minutes après : car ces enfants étaient bouleversés. Elle trouva l'ainé, penché au-dessus de son frère, appuyé sur les mains et sur les genoux, lui disant « Prions, prions, mon frère » : puis, se tournant vers sa mère « Vois-tu comme je tremble ! »
John fut obligé, à peine adolescent, d'interrompre ses études, par suite d'une maladie grave : il fut placé alors par son père en apprentissage chez un relieur, à Genève. Ce métier manuel ne desséchait ni sa sensibilité, ni son imagination. Presque tous les enfants d'Ami Bost avaient hérité de lui ses rares facultés musicales : John était le mieux doué de tous. Au milieu de ses reliures et de ses cartonnages, il employait tous ses loisirs à étudier la musique, piano et violoncelle : en 1839 il eut l'occasion d'être l'élève de Liszt, qui, en ce moment à Genève, lui donna, au Conservatoire, quelques leçons de piano.
Liszt, frappé des dons artistiques du jeune relieur, l'engagea vivement à abandonner ce modeste métier et à se vouer exclusivement à l'étude de la musique (1). John Bost se laissa très aisément persuader. Désormais il ne veut plus être que musicien : il passe encore quelque temps à Genève : mais Paris l'attire : il décide de s'y installer : sa passion pour son art le possède tout entier, et, en même temps qu'il acquiert une technique de plus eh plus parfaite, son talent s'affirme avec maitrise. Il est sur le seuil d'une carrière artistique très brillante, et son avenir semble fixé.
« Je devais être artiste, a-t-il dit un jour : je devins pasteur. » Ce ne fut pas sans secousse intérieure. Sans doute, il avait reçu, à Moutiers-Grandval, une forte éducation chrétienne : il ne l'avait pas reniée : cependant ces impressions s'étaient quelque peu estompées au milieu des travaux et des ambitions qui à cette heure, l'absorbaient sans réserve. Un moment vint où ces souvenirs reprirent vie et puissance.
Un soir, — il l'a raconté lui-même, — il était au théâtre et écoutait le Domino noir. Pendant la représentation les enseignements de la maison paternelle lui revinrent, tout à coup à la mémoire : sans cause apparente, ces pensées s'attachèrent à lui avec une persistance irrésistible : ce fut bientôt une hantise. Soudain il se dit : « Si tu venais à mourir ici, où irais-tu ? » Bouleversé par cette question, il quitte le théâtre, rentre chez lui : le reste de la nuit se passe dans les larmes et la prière : « Au matin, ajouta-t-il, je me relevai, j'avais la paix. »
Il entre alors en relations étroites avec M. le pasteur Louis Meyer, ce conducteur d'âmes si particulièrement béni qu'il aimera nommer son père spirituel. En 1841, il abandonne la musique, et va passer une année en Irlande, comme précepteur dans une famille chrétienne.
Enfin, il fait un pas de plus : il ne veut plus être seulement un chrétien, mais un « pêcheur d'hommes ». En 1842, il reprend, au collège de Sainte-Foy, ses études classiques abandonnés depuis longtemps : quelques mois plus tard, il est étudiant à la Faculté de théologie de Montauban.
Un des résultats de sa conversion avait été certainement de créer ou de libérer en lui des puissances extraordinaires de dévouement, de consécration au service de ses frères. Dès ses premiers mois de Faculté, il pouvait discerner ce que serait le caractère spécial de sa vocation apostolique, et le rayonnement moral et social qu'il serait appelé à exercer. Car, à une époque où l'action sociale du christianisme était peut-être moins recherchée qu'elle ne le sera plus tard, John Bost devait être l'un des précurseurs de cette action et l'un de ses initiateurs les plus authentiques.
Ses premiers efforts de charité et de relèvement lui en montrèrent tout à la fois les difficultés et l'urgence. Il s'était enrôlé, comme moniteur, à une salle d'asile que dirigeait le professeur Jalaguier. Un dimanche, il remarque l'absence d'une élève dans le groupe qu'il était chargé d'instruire. L'école une fois terminée, il s'informe de la demeure de cette jeune fille : on la lui indique : c'était dans une rue fort mal habitée. Pendant que Bost cherchait la maison, il fut abordé par quelques malheureuses de ce quartier qui lui dirent « Ah ! monsieur, vous faites bien de sauver cette petite : si nous avions été, nous aussi, entourées et protégées, nous ne serions pas tombées si bas. »
Le jeune étudiant comprit alors à quel genre de détresse il avait à faire : il vit aussi qu'il ne pouvait rester seul dans un pareil entourage. J'allai chercher, dit-il, Mesdames Babut et Adolphe Monod, qui m'accompagnèrent dans la maison de Pauline. Celle-ci, en me voyant, se jeta à mes pieds. La scène qui se passa alors ne se décrit pas. La mère, après beaucoup d'hésitations, s'écria : Eh bien, emmenez ma fille ! » Il en était temps. Peu de jours après, elle fut placée par nos amis dans un pensionnat de jeunes filles, en attendant qu'un asile pût lui être ouvert. »
Pauvre fille des rues de Montauban, sauvée ainsi comme au travers du feu, elle ne devinait certes pas qu'elle était la première d'un innombrable cortège de délaissés et de souffrants pour qui le nom de John Bost deviendrait le symbole de l'amour et des délivrances !…
L'intervention du jeune étudiant en théologie allait être, sans autre délai, sollicitée de nouveau cette même époque, raconte Bost, un ami m'écrivit de Pise : « Je vous envoie une petite orpheline de cinq ans. Le père est mort : la mère est mourante. Cherchez-lui un asile : je paierai la pension. » L'orphelinat de Montauban aurait dû être ma ressource : mais ni celui-là, ni aucun des autres orphelinats de France ne recevait cette époque des enfants âgées de moins de six ans, ni celles figées de plus de douze ans. Je sollicitai en vain : les règlements furent maintenus, et je dus placer ma petite orpheline dans une pension qui n'était pas destinée il élever des filles de sa classe. »
Ainsi donc, dans ces deux tentatives de sauvetage, Bost avait constaté l'absence des institutions qui eussent été nécessaires. Un double problème se posait devant lui « Que faire des enfants en danger moral ? que faire des tout petits orphelins ? » Il se répondit lui-même sans hésiter : « Je créerai ces institutions qui n'existent pas. Dès que je serai pasteur, fixé dans une Église, j'ouvrirai une maison destinée aux orphelines de tout âge et aux jeunes filles nées dans un mauvais milieu. »
Tout John Bost est dans cette résolution initiale : tout John Bost, c'est-à-dire la vision nette de l'œuvre à faire, la compassion inépuisable, la décision immédiate, toutes les audaces de la foi, et une volonté étonnamment opiniâtre.
Ce fut seulement bien plus tard, en 1880 prit son grade de bachelier en théologie : il avait déjà fondé la plupart des Asiles : son nom et son œuvre étaient sur les lèvres et dans le cœur de tous les chrétiens de France : il n'avait pas besoin du parchemin universitaire pour donner autorité à sa parole et à son action. « Les parchemins ne valent pas les têtes », disait plus tard, dans une autre circonstance, M. le professeur Pédezert : John Bost aurait pu être mis largement au bénéfice de ce sage jugement. Par un scrupule de conscience, il souhaita cependant présenter à la Faculté de Montauban une thèse : la soutenance fut moins une discussion académique qu'un entretien cordial, où les professeurs offrirent un large tribut d'admiration et de sympathie à leur ancien étudiant. L'honneur de cette épreuve universitaire était moins pour celui qui obtenait un titre nouveau que pour la Faculté qui le décernait à un tel candidat.
À son arrivée à Laforce, il avait choisi pour texte de son sermon d'installation ces mots : « Détachez cet ânon, et amenez-le-moi : le Seigneur en a besoin. » Tout l'humour d'Ami Bost revivait en son fils, Mais revivaient aussi dans le jeune pasteur l'esprit d'entreprise et de vaillante consécration qui avait entraîné constamment le vieux pionnier du Réveil.
Il se met à l'œuvre, organise la communauté, fait construire un temple, une école, un presbytère : mais surtout il ne perd pas de vue son programme charitable : ouvrir un Asile pour les orphelines de tout âge et les jeunes filles moralement abandonnées. Pour tout appui moral, il n'avait encore que ses résolutions personnelles, et, pour toute mise de fonds, il possédait un capital de dix-sept francs. Force lui était bien d'élargir cette hase, dans tous les sens.
Il revint alors à Montauban, soumit ses projets à ses anciens professeurs, Adolphe Monod, G. de Félice, Bonifas père, au pasteur Marzials, à M. et Mme Babut. Aux premiers mots, les objections s'élevèrent en foule : les difficultés jaillissaient de partout : l'œuvre était jugée irréalisable : Bost ne se laissa pas ébranler : « Cette œuvre manque à l'Église : elle est nécessaire : je la créerai avec l'aide de Dieu. » Cette généreuse obstination eut sa récompense : « Subitement, dit Bost, au cours d'une conversation, ces chers amis changèrent de langage. Ils se levèrent et me tendirent la main : Allez donc en avant, s'écrièrent-ils, l'œuvre est excellente : elle répond à bien des besoins les plus manifestes de nos Églises : nous vous aiderons de toute notre influence, dans toutes les Églises de France et de l'étranger. »
Muni d'une recommandation signée par tous les professeurs de Montauban, le pasteur de Laforce partit pour Paris, où il commença à recueillir des fonds : un voyage en Angleterre et en Écosse acheva de lui donner la somme nécessaire pour construire son premier Asile : La Famille.
Revenu à Laforce, il décide d'intéresser directement à son œuvre les membres eux-mêmes de son Église, pour la plupart des agriculteurs. Comme il sait fort bien que l'intérêt marche de pair avec les sacrifices consentis, il sollicite sans hésiter l'aide matérielle de ses paroissiens. Ceux qui ont connu John Bost se rappellent que de sa parole, de son geste, de toute son âme émanait une puissance de persuasion qui réchauffait les plus tièdes. De fait, il gagne promptement le cœur de ces populations rurales : et, comme les travaux des champs ne peuvent pas être abandonnés, c'est après le coucher du soleil qu'hommes et attelages travaillent l'ouvre nouvelle. Pendant plus de treize mois, une large part de chaque nuit fut employée au transport des matériaux pour l'Asile : toutes les pierres et tous les bois furent gratuitement apportés, soit des bords de la Dordogne, soit des coteaux environnants, sur le plateau de Laforce, non loin des ruines du château de Caumont-La Force. La famille des ducs de Caumont-La Force avait été l'une des plus illustres du protestantisme français. Une renommée nouvelle, et d'un autre ordre, allait s'attacher à ce petit coin du monde.
Le 24 mai 1848, La Famille ouvrit ses portes : elle pouvait abriter quarante jeunes filles, et son Règlement autorisait l'admission : « 1° des orphelines de tout âge ; 2° des jeunes filles issues d'unions illégitimes ; 3° des jeunes filles placées dans des circonstances très difficiles ».
Une directrice fut trouvée dans l'Église elle-même de Laforce : une institutrice vint la rejoindre, dès que les demandes d'admission se multiplièrent. Tout naturellement les deux premières pensionnaires furent Pauline, la jeune fille de Montauban, et la petite orpheline de Pise.
Ainsi commença « l'épopée de Laforce », dont chacun des chapitres relate l'ouverture d'un asile nouveau : histoire admirable qui s'est déroulée, non par l'exécution méthodique d'un plan minutieusement préconçu, mais au jour le jour, et sous la pression des circonstances, comme il a été dit au début de ces quelques pages. Après chaque création d'un refuge nouveau pour la détresse, il semblait que plus rien n'était à faire que consolider et entretenir ce qui avait été déjà fait ; et voici que d'autres infortunes se présentaient : le cœur de John Bost ne savait pas et ne voulait pas s'endurcir devant ces appels inattendus, un nouveau chapitre commençait : le point final qu'on croyait avoir posé au bas de la page précédente était effacé…
Aujourd'hui encore, après tant de travaux, de luttes et de victoires, celui qui connaît Laforce, et ce qu'on peut appeler « l'esprit de Laforce », sait que, dans cette œuvre-là, il n'y aura jamais de point final.
Le lendemain, les deux idiotes étaient installées au presbytère (on avait ramené Louison de La Famille) : la mère de Ton vint y loger aussi, et consentit à les prendre dans sa chambre. Ton se chargeait de leur toilette, de leur repas et de leur promenade. Le pasteur s'occupait de leur éducation : « Je m'occupais plutôt de la mienne, dit-il. Les mois s'écoulèrent et je ne constatais guère de progrès : un peu plus d'attention aux leçons que je donnais, des habitudes de propreté, quelques mots appris, c'était tout. Un jour, à l'harmonium, je chantais : les deux petites se prirent par la main : l'une d'elles imita les sons avec une voix très juste : la seconde lui répondit. Elles purent bientôt chanter quelques mélodies auxquelles j'ajoutai des paroles. La porte s'était donc ouverte dans ces intelligences jusqu'alors fermées. Elles commencèrent à penser, à parler distinctement, à lire un peu. Un jour, elles dirent au docteur qui venait faire une visite : « Donnez-moi votre chapeau, Monsieur. » Je vois encore l'attendrissement de ce bon docteur, l'ami si dévoué des Asiles, s'écriant : « Que leur avez-vous donc fait ? Elles parlent ! » L'éducation des idiotes était donc possible. »
Bost dit plus tard qu'il n'a jamais oublié ces jours d'émotions et de joies. On le croit sans peine. Le travail de son âme » était récompensé, avec surabondance.
Peu à peu arrivèrent des orphelines incurables, des aveugles, une sourde-muette, une phtisique. Le presbytère n'était plus assez grand pour abriter toutes ces infortunes ; et La Famille ne pouvait les recueillir, sans dévier irrémédiablement de son but. John Bost loua une petite maison et la lit approprier pour recevoir des malades. Un modeste service de dédicace l'inaugura le 1er janvier 1855. L'œuvre se développa rapidement et ce local lui-même devint trop petit. Une propriété de douze hectares, en plein rapport, fut proposée au pasteur : elle avait des vignes, des prés, de l'eau, des arbres fruitiers, de charmants ombrages, sur le versant de la colline. Le prix était de 45 000 francs. Où les trouver ?
Bost se mit en route, sans trop savoir où et à qui s'adresser. Le 30 mars, à Paris, des amis de Laforce convoquèrent une « réunion de salon » chez Mme André-Walther. Adolphe Monod, déjà malade, la présidait ; cela rendait, dès l'abord, très émouvant cet entretien. La cause était gagnée, et la collecte fut abondante. Quelques amis anglais que Bost alla solliciter complétèrent la somme cherchée. En juin, la propriété était achetée, et le 15 novembre 1855, l'Asile de Béthesda était consacré à Dieu en présence d'une immense assemblée. Un peu plus tard, la maison fut très agrandie. Au milieu de ses jardins, avec ses haies vertes qui lui servent de muraille, cet Asile a été le port de refuge d'innombrables « roseaux froissés », malades de corps et d'âme, créatures chétives, transies dans leurs souffrances physiques et dans leur solitude morale, que les soins intelligents souvent ramenaient à la santé, et qu'un inlassable dévouement réchauffait de sa sollicitude.
Le presbytère fut approprié : on rabota les planchers, les murailles furent blanchies à plusieurs couches. La maison du pasteur redevint le home paisible, agréable, très soigné qu'il était, avant l'arrivée des idiotes.
Ce n'était qu'une accalmie. Bost eût probablement frémi et sa domestique plus encore — si quelqu'un leur avait prédit qu'en fait le presbytère n'était ainsi remis en état que pour recevoir des hôtes nouveaux, du même genre que les précédents. Ainsi en advint-il cependant.
Béthesda n'était ouvert qu'aux filles. Et pourtant les déchéances qui s'y réfugiaient atteignaient aussi les garçons. Quelques mois après l'inauguration de Béthesda, des lettres arrivèrent à John Bost, lui demandant d'admettre à l'Asile des garçons incurables ou idiots. C'était la répétition de ce qui s'était passé, trois ou quatre ans auparavant, pour l'admission des idiotes à La Famille. Bost répondait : « C'est impossible. » mais on insistait. Plus que tous les autres s'entêtaient des protecteurs d'un pauvre enfant de Nîmes, atteint de la danse de Saint-Guy, et paralysé de tout un côté du corps. Il gagnait quelques centimes par jour à vendre des allumettes : mais, vu son état physique, il avait été chassé par la police des boulevards de la ville, car il était un sujet de terreur pour les passants : le commissaire de police lui avait interdit de stationner n'importe où pour vendre ses allumettes. Que pouvait-il devenir ? Il n'avait pour toute famille qu'une marâtre qui, par ses mauvais traitements, faisait de sa vie un enfer. Le malheureux, chez qui la maladie nerveuse n'avait pas éteint toute intelligence, avait entendu ses protecteurs parler entre eux de Laforce, de Béthesda, mais en ajoutant, hélas ! que son admission était refusée. Et le pauvre enfant se désespérait : « Pourquoi ne me veut-il pas, ce Monsieur qu'on dit si bon ? — Nous vous rayons dit, lui répondait-on, l'Asile ne reçoit que des filles. » Alors, un jour, son cœur se brisa et il laissa échapper ce cri : « Mais les garçons ne valent-ils pas les filles ? » Ce lamentable appel fut envoyé à John Bost par les amis de l'incurable. « Mes yeux se remplirent de larmes en le lisant, écrit Bost : mon être tout entier fut bouleversé : j'avais mon père et ma mère, l'usage de tous mes membres : mon presbytère dominait la plaine de la Dordogne…, j'étais dans l'abondance…, et lui il pleurait. Je pris ma plume, et j'écrivis :
« Capion (c'était son nom) admis : il peut venir tout de suite. »
Mon cœur respirait ; ma servante me vit plus joyeux que la veille :
« Monsieur a-t-il reçu une bonne nouvelle ? demanda-t-elle.
— Non, ma pauvre fille ; mais je vais vous dire… je suis décidé…
— À recevoir ces malheureux garçons ? Je pensais bien que Monsieur en viendrait là. »
Et elle se mit à rire, en ajoutant :
« Quand arriveront-ils ? »
Naturellement on ne pouvait les recueillir, tout au moins momentanément, qu'au presbytère. C'était, point par point, l'histoire des idiotes qui recommençait. Capion arriva, puis un cul-de-jatte, un orphelin infirme, un paralytique, plu-sieurs idiots, et un aimable petit garçon couvert de plaies, auquel les médecins avaient déclaré que l'amputation de la jambe était impossible, qu'il fallait amputer tout le corps : c'est ainsi, parait-il, qu'il s'exprima textuellement, en saisissant les mains de John Bost avec effusion.
Le presbytère était devenu bientôt trop petit pour les filles : bientôt aussi il le redevint pour les garçons. D'autre part, les demandes d'admission étaient si nombreuses qu'il fallait, sans aucun délai, créer une installation nouvelle. Sur le versant du coteau, assez près de Béthesda, se trouvaient à vendre deux masures attenantes l'une à l'autre, Bost les acheta, et, après les réparations les plus urgentes, les malades y furent installés sous la direction d'un infirmier et de sa femme. C'était en août 1858.
De tout cela on s'entretenait beaucoup, au près et au loin, dans les Églises et dans les œuvres charitables. Les orphelinats envoyaient, de plus en plus, les incurables, les idiots, les aveugles, qui compliquaient la marche régulière de leur œuvre. Quelques mois après l'ouverture de l'Asile de garçons, il fut indispensable de gravir un échelon de plus et d'installer une maison plus vaste, analogue à celle de Béthesda. À 3 kilomètres de Laforce, une propriété fut achetée : des constructions importantes furent faites. Ce fut Siloé. Bientôt quatre-vingts pensionnaires l'habitèrent.
La Famille, Béthesda, Siloé… trois œuvres fondées, et des œuvres dont la difficulté se mesurait à ce qu'elles recueillaient les malheureux refusés partout ailleurs, — trois œuvres qui réclamaient, à côté de la surveillance spéciale des directeurs et directrices, l'intervention générale et constante de John Bost, — ces trois œuvres-là, pour un autre homme que le pasteur de Laforce, auraient très probablement formé un cycle, désormais achevé, d'entreprises charitables. Des amis l'écrivaient au fondateur : « Reposez-vous : laissez agir les autres… qui trop embrasse mal étreint. » John Bost répondait en souriant : « L'Évangile n'a pas dit cela. Ah ! oui ! laissez agir les autres ! que ce serait admirable si « les autres » voulaient agir ! »
Et puis, Bost savait que le travail pour ceux qui souffrent ne se compare pas à un cycle qui peut quelque jour être fermé, mais à une route dont on n'aperçoit pas la fin, pas plus que ne s'aperçoit la fin des détresses du corps et de l'âme, et de leurs innombrables, parfois terrifiantes, variétés.
Un soir, John Bost fut appelé en toute hâte à Béthesda. En entrant dans la grande salle, il vit une jeune fille de dix-sept ans étendue sur le plancher. Une crise d'épilepsie venait de la terrasser. Cette question de l'admission des épileptiques avait été déjà examinée à Laforce, et toujours, sur le conseil très ferme et explicite des médecins, tranchée négativement. La présence d'épileptiques dans ces asiles d'idiots, à Béthesda et à Siloé, ne pouvait avoir qu'une influence désastreuse sur l'état nerveux des pensionnaires. On avait donc toujours refusé. Cependant deux jeunes filles, atteintes de crises nerveuses, avaient été proposées pour Béthesda : les certificats des médecins qui les avaient soignées auparavant n'avaient pas dit, malgré, les instantes prières de John Bost, ce qu'étaient exactement ces crises. Malheureusement, c'était bien l'épilepsie : et, le soir où Bost fut appelé en toute hâte, le diagnostic n'offrait plus aucune incertitude. « C'était affreux, s'écrièrent les directrices : nous n'avons jamais rien vu de semblable. Nos pauvres malades sont encore toutes tremblantes, et nos enfants deviendront toutes épileptiques. »
Or, précisément quand on était venu chercher John Bost, il lisait une lettre de Mme François Delessert, qui lui écrivait : « Une jeune Suissesse, âgée de dix-neuf ans, a des crises d'épilepsie, qui l'ont rendue difforme : on ne veut la recevoir dans aucun asile. La Société helvétique ne sait qu'en faire. La mère de cette malheureuse vient de mourir : elle est seule, orpheline, dans un obscur réduit, et n'a personne pour la soigner. »
À cette heure donc, la vision des épileptiques étreignait le cœur de Bost d'une angoisse de plus en plus intolérable. La scène de Béthesda fit « déborder la coupe » (ce sont ses propres expressions). Où mettre ces malheureuses, celles de Béthesda et celles pour qui tant de lettres imploraient assistance ? Les recevoir au presbytère ? Cette fois, c'était impossible. C'était en fermer la porte aux paroissiens du pasteur, à ses nombreux visiteurs : c'était exposer le pasteur lui-même, après ses fatigues du jour, à des émotions qui auraient pu lui être funestes. Alors, ouvrir un nouvel asile ? Il n'y avait pas d'autre solution possible. Levant les yeux en haut, Bost s'écria « Jusqu'ici l'Éternel nous a secourus. Ében Hézer ! Ében-Hézer, ce sera l'Asile des épileptiques ».
Comme dans tous les autres cas, une installation provisoire fut organisée dans une petite maison achetée à la hâte. Il fallait d'urgence séparer les épileptiques, déjà à Laforce, des autres malades.
En même temps Bost faisait commencer la construction d'un véritable asile. Puis il partit pour Paris, afin de faire un appel de fonds. Il était très préoccupé de cette démarche : déjà il avait beau-coup demandé et beaucoup obtenu : maintenant il tremblait d'avoir lassé la libéralité de ses amis si souvent sollicités.
On avait convoqué pour lui une grande assemblée, le 4 février 1862, dans le temple de la Rédemption. Presque tous les pasteurs de Paris s'y trouvaient, et M. François Delessert présidait. La scène fut réellement dramatique. La convocation portait, en termes généraux, que John Bost donnerait des nouvelles des Asiles de Laforce. L'auditoire écouta, d'abord, avec un très vif intérêt les détails sur La Famille, Béthesda, Siloé. « Au moment d'annoncer la fondation d'Ében-Hézer, dit John Bost, un frisson glaça tous mes membres : le temple semblait tourner autour de moi : à cet instant, la scène que j'avais vue à Béthesda se retraça à mes yeux, et je m'écriai : « Je vous annonce la fondation d'un nouvel asile ». Alors les messieurs prirent leurs chapeaux, les dames se levèrent et j'allais me trouver seul avec mon Ében-Hézer, dans le cœur. D'une voix tremblante d'émotion, je m'écriai : « c'est pour les orphelines épileptiques : pitié pour les pauvres épileptiques ». On m'a dit depuis que j'avais prononce ce mot « épileptiques » avec un tel accent de douleur et de sympathie que tout le monde s'arrêta. On se rassit. Je lus quelques-unes des lettres que j'avais reçues : je racontai ce qui s'était passé à Béthesda. Tous les cœurs étaient émus. Mon allocution se termina par ces mots « Je n'irai pas collecter vos dons : si vous désirez plus de détails, je serai heureux de vous les donner. » Le vénérable président de l'Assemblée, M. Delessert se leva, me serra les mains, et, les yeux baignés de larmes, me dit : « Je vous donne mille francs, et si vous voulez davantage, vous l'aurez. » Des messieurs s'approchèrent de l'estrade, me remirent leurs cartes, en ajoutant : « Venez nous voir : nous avons tout compris. » Une dame me dit : « J'avais résolu de vous retirer ma souscription annuelle : je la doublerai, et voici cinq cents francs pour Ében-Hézer. » Un peu plus loin, dans le corridor sombre, quelqu'un m'arrête : « Je ne puis rien vous donner, dit une voix, mais si vous voulez m'accepter comme directrice du nouvel asile, je m'offre volontiers. » Lorsque je quittai Paris peu de jours après, j'avais trouvé l'argent nécessaire pour la construction d'Ében-Hézer, et j'emmenais sa directrice. »
La dédicace d'Ében-Hézer eut lieu le 21 avril 1862, sous la présidence de M. G. de Félice, professeur à la Faculté de théologie dé Montauban. Plus de deux mille personnes assistaient à cette solennité. Trois épileptiques étaient dans leurs lits, cachées par les arbres du jardin. Au moment de la prière, quatre hommes soulevèrent un de ces lits sur lequel était couchée une petite épileptique. Tout le monde pleurait. M. le pasteur Bastié, chargé du premier discours, se leva, et d'une voix pleine de larmes, s'écria : « Après une scène comme celle dont nous avons été témoins, on ne parle pas. »
Ében-Hézer devait être peu à peu considérable-ment agrandi. Des chambres particulières pour des cas spéciaux y furent ajoutées. Une installation hydrothérapique complète — don des amis de Mulhouse — acheva l'organisation médicale de l'Asile. Mais, malgré les perfectionnements apportés à Ében-Hézer, quelque chose restait inachevé dans l'œuvrepour les épileptiques : c'était la création d'un asile pour les garçons. Ében-Hézer, asile pour les filles, semblait — si la métaphore n'est pas trop hardie — posé en porte-à-faux, tant qu'un refuge analogue pour les garçons n'aurait pas été édifié à côté. Le terrible parallélisme dans la souffrance réclamait le même parallélisme dans la compassion. John Bost l'avait immédiatement prévu, et il avait supplié des amis chrétiens d'ouvrir quelque part cet asile pour les garçons épileptiques. Mais, dans le cœur et sur les lèvres de tous ceux qui con-naissaient les Asiles de Laforce et leur directeur, il n'y avait qu'une réponse, presque instinctive : « C'est à Laforce que doit être cet asile. » Au reste, à Laforce même, quelques accidents épileptiformes s'étaient produits parmi les idiots de Siloé, comme autrefois à Béthesda. Bost, très préoccupé, hésitait cependant. Au milieu de ses perplexités, il reçut une lettre de Neuchâtel qui le priait de recevoir un garçon de douze ans : « Nous nous sommes adressés, disait-on, à tous les asiles de Suisse et d'Allemagne. Nous n'obtenons que des refus. Il serait admis dans un asile d'aveugles : mais il est idiot, on n'en veut pas. Il entrerait dans une maison de sourds-muets : mais il est infirme et presque paralysé, on ne peut le recevoir. De plus il est épileptique. » Alors, Bost marcha une fois de plus par la foi : « Envoyez-le moi » La fondation de Béthel était décidée. Le Neuchâtelois (par une lamentable ironie, il s'appelait Prince : quelle large principauté il possédait dans le royaume de la douleur ! Il était aveugle, sourd-muet, idiot, paralytique, épileptique) Prince arriva le premier. Les garçons épileptiques de Siloé ne tardèrent pas à le rejoindre dans l'Asile provisoire qui fut ouvert, le 1er janvier 1863. Puis, comme tous les autres asiles, Béthel fut agrandi : une maison construite tout exprès par la générosité d'un père privé de tous ses enfants, s'éleva à côté de l'asile de Siloé à trois kilomètres de Laforce. On a toujours remarqué, dans les asiles de garçons, une sorte d'émulation lugubre dans la misère et la souffrance. D'une manière générale, ils sont plus pénibles à visiter que les asiles de filles : et qu'est-ce donc lorsque se manifeste cette étrange jalousie, la jalousie de l'excès de la misère ! « Un dimanche matin, écrit Bost, comme l'omnibus de Siloé amenait au temple nos garçons trop impotents pour parcourir à pied la distance qui sépare cet asile de Laforce, un de nos infirmes, atteint d'une chorée complète, était assis sur le premier banc de la voiture. Dès qu'il m'eut aperçu, il s'écria « Papa Bost, papa Bost ! j'ai trouvé mon supérieur. » Il parlait d'un nouveau pensionnaire, récemment admis et qui venait d'arriver : je ne l'avais pas encore vu. Pendant qu'il me faisait la description des infirmités de son camarade, sa tète à lui, ses bras, ses jambes s'agitaient en tous sens : un supérieur, pensais-je, qu'aurait-il de plus que celui-là ? Bientôt arrivèrent, marchant deux à deux, les garçons valides de Siloé. Les exclamations et les descriptions recommencèrent en parlant du nouveau « Ah ! pour celui-là, disaient les as, il nous fait peur ! » Les grands idiots chargés de porter les infirmes me serraient les mains, et, avec force contorsions et grimaces, me disaient : « trop lourd, grand, trop pesant, donner coups de poings et pieds en portant lui, faut voiture et lit à terre, pèse trop… » Et le directeur confirma ce que m'apprenaient sur le nouveau ses camarades. »
Quelques heures après, John Bost alla lui-même voir ce qu'il en était : « J'étais accompagné ce jour-là par un ami qui visitait les Asiles pour la première fois. La Famille lui avait fait du bien. Béthesda avait ému son cœur. Ében-Hézer lui avait ôté l'usage de la parole. Il me serrait la main en montant en voiture pour aller à Siloé et Béthel. Arrivés devant Siloé, le portail fut ouvert par les grands idiots qu'on appelle toujours mes valets de pied. « Nouveau là-bas, nouveau assis, lavé, habits neufs, joli maintenant nouveau ! » disaient-ils tous à la fois, en se disputant les rênes de mon cheval, bonne bête habituée à se laisser soigner par les garçons de Siloé. Je n'eus pas de peine à reconnaître le nouvel enfant que Dieu jetait dans mes bras. À cette affreuse vue, mon ami s'éloigna atterré. Je joignis les mains pour recommander à la grâce de Dieu ce pauvre être. Ses grands bras, ses jambes, d'une longueur démesurée, se jetaient en tous sens : ses grands yeux d'un bleu clair, agités convulsivement, allaient en sens inverse de sa tète : sa bouche ouverte cherchait à articuler des mots. Hélas ! c'étaient des grognements, des hurlements. Mon choréique l'avait bien dit : il avait trouvé son supérieur. » Et voilà aussi les trouvailles que le courrier de chaque jour pouvait apporter à John Bost. Au reste, et d'une manière générale, quand on essaie de se représenter, de détailler, l'existence de ce serviteur de Dieu et de ses frères, on est confondu d'une telle puissance de foi, de patience, de maîtrise de soi et surtout de travail. M. le pasteur Élisée Bost, dans les souvenirs déjà cités, écrit : « Je lui ai presque toujours connu cette activité dévorante, et l'on se demande comment il a pu y tenir si longtemps ! Que de fois, le soir, il rentrait dans un état d'énervement, parfois de surexcitation, pénible à voir : mais il se reprenait vite, et je me rappelle l'éclat de rire dont il partit un jour que, sur son mot habituel « Allons, fils, un peu de musique ! » je murmurai, en allant à l'harmonium « David calmant Saül ! » J'aurais à raconter bien des scènes où j'ai pu constater quelle était la puissance de sa volonté. Je me borne à en rappeler une seule, l'arrivée des premiers pensionnaires de Siloé. Y avait-il eu un malentendu ou une erreur de la poste ? Toujours est-il que, par exception, nous étions paisiblement à dîner lorsqu'un omnibus arriva subitement devant le presbytère. C'était M. Morin, de Paris, amenant six ou sept jeunes gens infirmes, culs-de-jatte, idiots. On ne les attendait pas ce soir-là : rien n'était préparé à Siloé. Je n'oublierai jamais le mouvement que fit mon frère, mis ainsi brusquement eu face de la nouvelle œuvre qu'il entreprenait. Il ne dit pas un mot, parut très alite : mais je le surpris se ramassant sur lui-mème et les poings serrés, comme un homme qui lutte contre un adversaire terrible. Une heure après, les chambres du presbytère étaient prêtes à recevoir jusqu'au lendemain les pauvres malades d'esprit et de corps : un souper tut organise à l'improviste, et personne n'aurait pu se douter qu'il venait d'éclater « une tempête sous un crâne ». Mon frère ne m'en a jamais parlé : je ne lui en ai jamais parlé. Il est très remarquable qu'au sein de tant de travaux, il ait conservé son tempérament d'artiste, dans le sens le plus général du terme, et toujours voulu qu'en toutes choses on soignât les moindres détails avec amour. On connait son mot à M. Recolin qui admirait jusqu'au jardin potager de La Famille : « Oui, je veux avoir des navets et des choux chrétiens ! »
Est-il étonnant qu'étant écrasé par sa formidable tâche, avec son caractère si énergique et ce besoin de perfection, il ait encouru le reproche d'être très exigeant et très sévère ? Exigeant, oh ! oui, il l'a été, pour les autres, comme pour lui-même : et il ne cachait pas qu'il croyait de son devoir de l'être. Sévère, oui aussi. Mais, écoutez. Un jour, il avait infligé une punition trop dure à une orpheline : puis il était parti pour Bergerac où l'appelait une affaire urgente. À deux kilomètres de la ville, pris de remords, il tourne bride et revient Laforce, non pour lever, mais pour adoucir la punition : et il repart. Et ne savez-vous pas quel amour, quelle tendresse il avait pour le personnel et pour les pensionnaires des Asiles ? Et si je ne craignais de franchir le seuil de la vie privée, qu'il me serait facile et doux de montrer quel cœur chaud battait dans sa vaillante poitrine, de dire ce qu'il a été pour ses parents, l'affection et les soins dont il les a entourés dans leur vieillesse, ce qu'il a été pour tous les siens, pour sa compagne si digne de lui, pour ses enfants, pour tous ses amis ! »
John Bost se maria, en effet, en 1861. Il épousa Mlle Ponterie, la fille de l'un des fondateurs de l'Église libre de Laforce, qui avait été aussi, pour les Asiles, un ami et un bienfaiteur de la première heure, Mme Bost fut, pour son mari, l'aide semblable à lui en toutes choses, qui s'associa sans réserve à toutes ses peines et à toutes ses joies. Ils installèrent leur foyer non loin des Asiles, dans la belle propriété de Meynard, où leurs enfants grandirent, et où, en 1874, leurs vieux parents, le vénérable Ami Bost et sa femme, entourés de leurs trente enfants et petits enfants, parmi lesquels neuf pasteurs, célébrèrent leurs noces de diamant, puis, peu de temps après, furent rappelés auprès de Dieu, à quelques jours l'un de l'autre.
Un temple fut construit, en 1867, pour les Asiles, au milieu de ce vaste parc qu'est devenu le plateau de Laforce. John Bost en avait lui-même dirigé l'aménagement : mieux que l'architecte, il connaissait les besoins de ses pauvres pensionnaires. Dès l'entrée, le visiteur remarque deux tribunes, ou loges, entourées de grillages. Au-dessus des grillages sont roulés des stores et, derrière les stores, de légers matelas. Là viennent s'asseoir les épileptiques d'Ében-Hézer et Béthel. À la moindre crise de l'un de ces malheureux pendant le culte, les stores sont baissés, les matelas se déroulent, et le malade est emporté par l'une des portes de côté ouvertes dans les loges. À la vue de la soudaine manœuvre des stores, l'auditoire comprend ce qui se passe derrière les grilles : le cœur de tous se serre, et une prière silencieuse accompagne le pauvre être en proie à son terrible mal.
Ce temple des Asiles avec son auditoire d'incurables, d'épileptiques, d'orphelins, d'idiots, c'est bien le symbole des miracles d'amour que peut accomplir l'Esprit de Celui qui, sur la terre, disait de tous les malheureux : « Amenez-les moi. »
Comme John Bost les a aimés, ces pauvres misérables, aux corps tordus par d'indicibles souffrances et aux cours abandonnés de toute sympathie ! Écoutons-le raconter, dans une lettre adressée à la Semaine religieuse de Genève, en 1864, le service funèbre d'une épileptique :
« Avant-hier, samedi, nous étions tous réunis dans Ében-Hézer. Une caisse carrée était déposée devant nos veux. Que renfermait-elle ? Notre pauvre épileptique, idiote et paralytique qui, la veille, avait cessé de vivre… ou de mourir chaque jour. Elle a passé deux ans dans notre Asile. Depuis six mois, ses souffrances ont été intenses. Je ne veux pas vous faire la description de ce pauvre corps qui, à lui seul, renfermait, semble-t-il, toutes les misères de notre triste humanité. De son vivant, on a chanté auprès d'elle, on a prié. Elle a été soignée avec tant d'affection par ses directrices, par ses compagnes. Son lit si blanc, si propre, était toujours garni de fleurs : le dortoir, en plein midi, lui permettait de se chauffer au soleil, de voir la belle nature. Qu'a-t-elle compris de nos instructions, de notre science, elle, sans intelligence, ne donnant, pour signe de vie, que d'affreuses grimaces ? Mais si elle a compris l'amour de Dieu et notre amour pour elle, tout sera gagné : elle sera sauvée, et notre Père céleste aura été glorifié.
« Oh ! que notre service fut émouvant ! Tous les enfants de La Famille et de Béthesda étaient présents devant cette caisse difforme qui devait nous dire encore les ravages qui avaient détruit la pauvre Gabrielle. Le cantique : « Oh ! combien ici-bas pesait à leur faiblesse, ce fardeau de chagrins sur leur tète amassés » etc., chanté par des voix éteintes, poitrinaires, et par notre jeunesse de La Famille, produisit en nous les douceurs de l'espérance glorieuse de la résurrection, où, dans la gloire, nous chanterons victorieusement le cantique de l'Agneau. Depuis quelques jours, j'étais devenu plus faible qu'à l'ordinaire : on murmurait à mes oreilles : « les Asiles vous ôteront la vie ». Je pris pour texte : « Retire-toi d'ici, et t'en va, car Hérode te veut faire mourir. » Jésus leur dit : « Allez, et dites à ce renard : Voici, je chasse les démons, et j'achève de faire des guérisons aujourd'hui et demain, et le troisième jour je finis ma vie. » (Luc XIII, 31-33), Je vous fais grâce de ma méditation et de l'application de ces paroles.
« Mais si jamais j'ai senti vibrer dans mon cœur une corde sympathique pour le rebut du genre humain, c'était en présence de ce cercueil d'un genre nouveau, renfermant notre bien-aimée Gabrielle. Le mystère de son existence lui est à présent révélé : il le sera pour nous aussi : et que Dieu nous garde d'avoir « méprisé l'un de ces petits » courbé, flétri par toutes les horreurs de ces maladies mystérieuses, l'épilepsie, l'idiotie. « Gabrielle fut portée par quatre de ses compagnes à son lieu de repos : elle attendra là, dans cette tranquille retraite, en compagnie de celles qui se reposent de leurs douleurs, la résurrection des corps, l'heure où « Dieu transformera notre corps vil pour qu'il lui soit rendu semblable ». Toute la sagesse humaine, tous les discours de la philosophie, toutes les formules de prudence, d'opportunité à soigner de telles- infortunes, dis-paraissent devant le fait de la résurrection. En présence d'une de nos malades qui se rend dans les demeures éternelles, j'oublie mon travail, mes peines, mes sacrifices de santé, etc. Cette âme qui se rend auprès de Dieu sera aussi un juge, elle m'accusera ou me bénira. Elle dira : « Il n'y avait point de Sauveur pour moi sur la terre », ou : « J'ai rencontré tes disciples, et ils m'ont soulagée : ils m'ont dit : « Prends courage, le Maître t'appelle ».
Alors la décision fut prise d'ouvrir un asile nouveau : Le Repos. John Bost, de concert avec le Conseil qu'il s'était adjoint, en 1873, pour l'administration générale des Asiles, étudia longuement un plan de construction, et, quelque temps après, l'édifice commençait à sortir de terre. 11 devait comprendre un vaste salon, une salle à manger pouvant contenir cinquante personnes, quarante chambres, des infirmeries : tout autour des jardins, des bosquets : et, des allées de ces jardins, comme des fenêtres de l'immeuble, la vue de la splendide plaine de la Dordogne. Le Repos fut inauguré le 10 juin 1875, sous la présidence de M. le professeur Jules de Seynes et après une prédication de M. le pasteur Coulin, de Genève.
Trois ans après, en 1878, s'ouvrait l'asile qui complète Le Repos, La Retraite. La Retraite complète Le Repos, mais non pas comme une annexe complète un hôtel trop exigu : il y eut, à la création de La Retraite, une pensée infiniment délicate. Les vieilles servantes, les vaillantes ouvrières de l'humble travail manuel, fatiguées, isolées, après leur vie de labeur fidèle, n'ont-elles pas droit tout comme les institutrices âgées, les ouvrières du travail de L'éducation, à une fin très paisible, entourée d'égards et d'affection ? D'autre part, fallait-il les recueillir toutes au Repos, mélanger sans hésitation ces deux catégories de personnes, au passé, aux goûts, aux habitudes si différents ? À un âge où, après tous les froissements inévitables de la vie, après des déceptions et des amertumes, les susceptibilités sont promptes à s'éveiller, n'y aurait-il pas, dans ces rapprochements quotidiens, des causes de difficultés et de peines ? Et, finalement,la réalisation du programme de l'œuvre — qui était d'assurer du calme et du bien-être aux unes et aux autres — n'aurait-elle pas été compromise ?
Ces craintes, nullement exagérées, provoquèrent la fondation de La Retraite, avec ses douze petites chambres, toutes destinées à d'anciennes domestiques.
Aux esprits soucieux de coordination, de symétrie harmonieuse dans les destinées humaines, Le Repos et La Retraite, les œuvres pour la vieillesse, paraissaient bien être, pour l'activité de John Bost, la création du crépuscule, comme La Famille, l'asile des tout jeunes, avait été celle de l'aurore. Mais la vie, surtout la vie d'un John Bost, ne se plie pas à ces règles d'esthétique littéraire.
Après avoir organisé ces refuges qu'il voulait aussi calmes, aussi apaisants que possible, ce fut vers de nouveaux cercles de l'enfer qu'il fut obligé de retourner.
Béthesda, Ében-Hézer abritaient des infortunes si disparates qu'il s'y faisait en définitive (c'est l'expression de Bost lui-même) plus de mal que de bien. Il y avait des malades qui possédaient presque toutes leurs facultés intellectuelles, qui, en dehors de leurs crises, étaient à peu près normales, de jeunes idiotes dont l'éducation était possible : mais aussi, malheureusement, de pauvres filles, soit idiotes et à l'état mental complètement désespéré, soit épileptiques très gravement atteintes et dont les crises, de plus en plus fréquentes, de plus en plus fortes, confinaient à la folie, même à la folie furieuse. Cette promiscuité était devenue intolérable. Les médecins, le Conseil d'administration, souhaitaient ardemment qu'une sélection fût opérée. Elle ne pouvait l'être que par l'ouverture d'un nouvel asile. Il fallait donc demander encore de l'argent.
Un appel fut lancé : il y eut quelques réponses, et l'on put acheter le terrain nécessaire. Mais encore fallait-il avoir les ressources suffisantes pour construire. Bost savait que les amis de Laforce commençaient à se lasser de donner. Des paroles malsonnantes avaient été dites, et l'on avait murmuré qu'a Laforce on créait des infortunes pour ouvrir des maisons de refuge. Ces étranges appréciations paralysaient Bost. Il estimait « qu'il devait être pourvu aux besoins des sociétés religieuses autrement qu'en envoyant les pasteurs faire leur tour de France, si même ce n'était pas le tour du inonde. » Au milieu de cette attente angoissante de dons spontanés, il reçut un four, de deux daines de Bergerac, une lettre demandant les plans d'un asile qui pût contenir cinquante pensionnaires. Le plan fut fait. Il comprenait des salles de bains et d'hydrothérapie, des dortoirs, diverses salles où les enfants, divisés en plusieurs catégories, pourraient se tenir dans la journée, des cellules, etc… etc… Ce plan fut remis aux amies chrétiennes qui l'avaient demandé. Elles l'approuvèrent, et dirent : Voici cent mille francs pour la construction de la Miséricorde. »
Le 16 mai 1878, La Miséricorde était ouverte et recevait trente-deux pensionnaires.
Trois ans après, le 7 février 1881, était inaugurée La Compassion, la lamentable réplique, pour les garçons, de ce qu'était la Miséricorde pour les filles : car, à Béthel et à Siloé, s'étaient produites les affreuses dégénérescences qui avaient épouvanté les directrices, et beaucoup de malades, à Béthesda et à Ében-Hézer. Dans ces deux asiles, la Miséricorde et la Compassion, sont groupés de pauvres êtres qui peuvent désormais être it peine nommés des créatures humaines. En eux ne subsiste aucune intelligence, aucun sentiment moral : un seul instinct surnage quelquefois, c'est une certaine reconnaissance pour ceux, ou celles, qui leur prodiguent leurs soins : et quels soins !
De tous les Asiles de Laforce, La Miséricorde et La Compassion, surtout La Compassion, sont les plus effroyables à voir. Ce sont peut-être aussi les plus admirables…, si grand est l'amour chrétien qui auréole les serviteurs et les servantes de ces résidus de vie.
La Compassion, avec son horreur et sa beauté, fut le dernier effort du vieux lutteur pour le soulagement des créatures de Dieu.
J'ai appelé l'histoire de Laforce « une épopée ». John Bost en fut l'incomparable héros. Comme un bon soldat, il fut frappé debout, les armes à la main, et défendant sa cause.
Quelques jours après l'ouverture de La Compassion, il partait, avec sa courageuse et fidèle compagne, pour Pau, afin d'y parler, encore et toujours, de Laforce. Le 23 février, au moment où il allait prendre la parole à une réunion présidée par lord Plunket, évêque de Meath, on le vit s'affaisser, atteint subitement d'un épanchement cérébral. Il ne succomba pas : mais c'était un sérieux avertissement. Il projeta alors de s'adjoindre un collaborateur qu'il initierait à son œuvre, et puis qui la continuerait. Il songea à M. le pasteur Rayroux, directeur de l'Institut des sourds-muets de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) [1]. Des pourparlers furent engagés, et, quelques mois plus tard, M. Rayroux vint à Laforce, comme « sous-directeur, aumônier des Asiles ».
Cette décision et ce choix apportèrent à John Bost beaucoup de paix et de douceur. Il espérait pouvoir, pendant quelques années, montrer en détail à M. Rayroux tout ce qu'il devait voir et savoir sur Laforce. Il se réjouissait d'être l'instructeur d'un tel élève. « Je suis Moïse, lui disait-il, vous serez mon Josué. » Hélas, ces deux hommes de Dieu ne vécurent ensemble que quarante jours, pendant deux visites que M. Rayroux fit à Laforce, avant de s'y installer définitivement.
La santé de Bost était, en effet, perdue. Sa faiblesse alla croissant dans l'été de cette même année 1881 : et, d'autre part, son désir d'agir semblait croître avec la diminution même de ses forces. Il vivait beaucoup dans les Asiles : toujours accompagné par l'un de ses enfants, il les visitait constamment, et voulait montrer ainsi à ses chers déshérités que tous les siens, aussi bien que lui-même, les portaient en leur cœur.
En octobre, il voulut aller passer quelques semaines à Paris : des affaires administratives concernant les Asiles l'y appelaient. Son dessein était de rentrer à Laforce avant le 10 novembre, jour de l'arrivée de M. Rayroux. Mais, à la suite d'un refroidissement, son état, très précaire, s'aggrava sérieusement : les docteurs s'alarmèrent, et virent approcher la fin. Cependant la maladie se prolongea quelques jours. Au début, Bost croyait qu'il guérirait. Il répéta plusieurs fois que, si la vie lui était rendue, il l'emploierait bien autrement qu'il ne l'avait fait : « Ce serait, dit-il, une vie de recueillement et d'actions de grâces. » bans son humilité il ne voulait pas voir combien cette activité sans limites, dépensée pour ses frères, avait glorifié Dieu, et combien, même sans avoir la possibilité et le privilège d'un recueille-ment prolongé, ses journées avaient été pleines de la présence du Sauveur et de sa communion. Ce bon serviteur, qui avait reçu les dons et les talents d'un travail extérieur intense, les avait fait fructifier avec une inaltérable fidélité. Cela était la volonté de Dieu à son égard.
Peu à peu, il se rendit compte que sa course terrestre était achevée, et il dit un jour, à la personne qui était auprès de lui : « Il n'y a pas sur la terre un homme aussi bien soigné que moi :
mais tout sera inutile; toutefois je suis entre les mains de Dieu. » Jusqu'à la fin il fut soutenu par cette foi paisible, et ce fut avec toute sa connaissance, après avoir parlé aux siens qui l'entouraient
et avoir fixé sur eux un long regard d'ineffable affection, que, le 1er novembre 1881, à cinq heures du matin, il s'endormit dans la paix de Dieu.
Tenter, dans quelque jugement d'ensemble, d'apprécier une telle vie et une telle œuvre, vouloir enfermer dans des formules laudatives l'impression qu'elles laissent, est inutile, et serait presque déplacé. « Le sujet parle assez de lui-même. » L'écouter humblement, travailler à se pénétrer de l'esprit qui a animé cet homme et qui a fondé ces œuvres, c'est la seule attitude spirituelle qui, ici, convienne.
Cet esprit de John Bost n'a pas cessé de planer sur les Asiles de Laforce. On a pieusement donné son nom à ces neuf refuges : et il en est d'eux, désormais, comme de ces vieilles familles dont le nom en rappelant le passé, engage l'avenir.
Pendant les quarante années écoulées depuis qu'il n'est plus là, deux directeurs ont successive-ment accepté ce fardeau de labeurs et de responsabilités : M. le pasteur Rayroux, jusqu'à sa mort en 1908, et, depuis lors, son gendre, M. le pasteur Bott. Ils ont été aidés et encouragés, comme l'avait été John Bost, par le dévouement sans phrases, mais aussi sans bornes, des directeurs et directrices des divers Asiles, et par tous ceux qui, à un titre quelconque, ont été mêlés à la vie et au travail de ces œuvres. Inlassablement, tous ont veillé, prié et agi : et tant de vigilance, de prière et d'activité n'ont pas manqué de porter leurs fruits. Les Asiles ont été développés, améliorés, modernisés. Un bel immeuble, le nouveau Béthesda, a été construit. Un bulletin périodique, Notre prochain, établit un contact permanent entre l'ouvre et ceux qui l'aiment. Chaque mois de juin ramène à Laforce, pour l'anniversaire, pour la « fête », de vraies multitudes : et aujourd'hui, ce sont des automobiles qui se pressent sur ces côtes que gravissaient lentement, du temps de John Bost, les cabriolets et les omnibus. Dieu a permis que les terribles années de la grande guerre n'aient pas « éprouvé au delà de leurs forces » ces œuvres de paix et d'amour. Laforce, plus nécessaire que jamais, est aussi plus béni de Dieu, plus aimé des chrétiens qu'il ne l'a jamais été (2).
Là ne cesse de planer l'esprit de John Bost, c'est-à-dire l'esprit de Christ, à travers l'esprit de John Bost. Tous ceux qui connaissent les Asiles le savent. C'est le plus bel hommage à rendre à la
mémoire de leur fondateur. Les continuateurs de son œuvre ajouteraient certainement que c'est leur plus grande force.
Notes de l'auteur :
1- Liszt ne devait pas oublier son jeune élève M. le pasteur Élisée Bost, — frère de John, — a raconté au Cinquantenaire de la fondation des Asiles (1898) que Liszt lui dit, en 1861, à Weimar, on apprenant que John Bost avait abandonné la musique, était pasteur et consacrait sa vie à créer et à diriger des asiles de charité : « Eh bien, il a fait ce qu'il y a de mieux à faire », puis, se reprenant : « Il a fait ce qu'il y a à faire. »
2- Les Asiles de Laforce comptent actuellement 500 pensionnaires : la population globale est de 600 personnes. Les frais s'élèvent annuellement à environ 600 000 francs.
Le pasteur Léon Maury (1863-1931) est doyen à la faculté de théologie de Montauban, puis de Montpellier (transfert en 1919).
C'est le père du pasteur Pierre Maury (1890-1956), il a contribué à faire connaître la pensée de Karl Barth (voir Musée protestant).
C'est le grand-père du pasteur André Dumas (1918-1996), il a contribué à faire connaître la pensée de Dietrich Bonhoeffer.
• Le réveil religieux dans l'Église réformée à Genève et en France (1810-1850) par Léon Maury (1892)
1 - Ernest Rayroux est le successeur de John Bost à la direction des Asiles.
Voir : Musée protestant : les œuvres de charité : Institution de Saint-Hippolyte-du-Fort pour les sourds-muets protestants de France
→ John Bost : index des documents
→ portraits de John Bost : photographies & gravures
→ L'Église chrétienne considérée comme Asile de la souffrance : thèse de John Bost présentée à la faculté de théologie de Montauban (1880)
→ Notice historique de la fondation des Asiles de Laforce par John Bost
→ Origines des Asiles de Laforce par John Bost (1878) texte manuscrit
→ Asiles de Laforce en 1878 : liste des bâtiments & résidents
→ La Famille - Béthesda - Ében-Hézer - Siloé - Béthel - Le Repos - La Retraite - La Miséricorde
→ Les Asiles John Bost par Henriette Guizot de Witt, Revue Suisse (1889)
→ Souvenirs par son frère Élisée Bost (1898)
→ Discours du pasteur Adolphe des Gouttes (1924)
→ John Bost et sa cité prophétique par le pasteur Alexandre Westphal (1937)