Aimer Dieu et le servir, vivre en sa présence selon sa sainte parole, chercher avant tout le royaume des cieux et sa justice, tel est le but et le caractère de tout réveil, parce que c'est le but et le caractère du christianisme dans ce monde ; tel a donc été aussi l'objet du réveil dont j'entreprends de raconter la naissance et de suivre les développements, dans la petite part que j'y ai prise.
Je suis né à Genève, en 1790 (10 juin), de parents réduits à la dernière pauvreté par les persécutions de Rome. Leur aïeul avait été obligé de quitter la France (Beaumont en Dauphiné), en y laissant tous ses biens, caché, me dit-on, dans un char de fumier, pour se soustraire aux cruautés de cette église qui se donne pour être l'église sainte par excellence ! Néanmoins mon père, qui voulait me donner plus d'éducation qu'il n'en avait reçu lui-même, m'envoya dans un institut de frères moraves à Neuwied, près de Coblence (de 1798 à 1802). Ce n'est pas là, pour parler avec une rigoureuse exactitude, que je reçus mes premières impressions religieuses, qui datent de l'âge de trois ou quatre ans ; mais c'est pourtant à Neuwied qu'elles se développèrent d'une manière bien décidée. Et comme mon père lui-même avait été amené à la piété par les Frères, c'est bien à ceux-ci qu'il faut faire remonter les premiers germes du mouvement qui éclata plus tard à Genève, quoique ce mouvement n'ait pris chez eux que son point de départ, et nullement son caractère ni sa vigueur. On sait que Zinzendorf avait fondé dans cette ville, en 1741, un troupeau d'environ six cents personnes. L'œuvre avait rapidement décliné, et, en 1800, ce troupeau ne complait plus, outre mon père et moi, que quatre ou cinq pauvres femmes et un vieillard des vallées du Piémont. Il a achevé de se fondre dans l'œuvre nouvelle.
J'avais donc été consacré le 10 mars 1814. Je me mariai quelques mois après ; et mon père me céda à cette occasion l'institut qu'il avait fondé, de même qu'une pension alimentaire qu'il tenait pour des étudiants ; mais ces deux établissements ne subsistèrent pas longtemps dans mes mains peu exercées; et je retournai demeurer chez mon père, qui avait conservé une simple classe où il donnait l'instruction primaire. En été 1815 naquit le premier de mes fils ; et je me vis ainsi, pour le moment, père de famille et sans vocation.
Pendant les quelques mois qui s'écoulèrent avant que se présentât le poste de Moutiers-Grand-Val, qui devint le mien, je continuai à faire quelques prières dans les temples, à me réunir de temps à autre avec les amis que j'ai nommés, puis à jouir des premiers développements de mon petit aîné ; tout cela au milieu d'une pauvreté extrême ; de sorte que nous entrions ainsi insensiblement dans ce mélange de vives joies et de vives douleurs auxquelles m'appelaient également et mon caractère et mon penchant, et les desseins de Dieu sur moi ; état qui dura dans son intensité, pendant près de vingt ans.
Peu après, un vieux pasteur aveugle de Moutiers-Grand-Val (canton de Berne, près de Delémont), demanda un suffragant en lui offrant une paie beaucoup plus forte que celle qu'on donne habituellement à des suffragants, c'est-à-dire 1250 francs, et une petite maisonnette indépendante, de six pièces, avec un jardin. Qu'on se rappelle que j'étais depuis un an dans la triste position d'un jeune père de famille sans vocation ; qu'on joigne à ce fait l'idéal dont la jeunesse revêt toutes choses ; et l'on comprendra que c'était le paradis terrestre qui s'ouvrait devant nous ! Nous nous décidâmes, ma femme et moi, avec de vrais transports de joie.
En mars 1817, ma femme eut un second enfant, qu'elle essaya de nourrir comme elle avait fait du premier ; mais elle ne le put. Elle en contracta de longues souffrances ; et notre enfant, celui qui est maintenant pasteur à La Force (Dordogne) fut nourri à la bouteille, avec toutes sortes de laits, vu qu'on ne trouvait pas toujours cet aliment à son gré, même à prix d'argent. Pendant ces premiers six mois, plusieurs de nos paroissiens eurent la bonté de deviner notre position et de venir à notre secours ; mais, après tout, nous n'eûmes pas toujours autant de pain que nous en aurions voulu ; nous n'en mangions guère qu'à déjeuner, et nos chers enfants eux-mêmes s'en ressentaient ! Je me rappelle que notre pauvre petit aîné, alors âgé de 18 à 20 mois, allait quelquefois découvrir des marmites à l'écart pour y voler quelques pommes de terre bouillies, toutes froides.
Nous arrivâmes à Genève, où nous passâmes environ deux mois, ma femme logeant alors aux Pâquis chez sa mère avec mes deux enfants, et moi chez un frère en ville.
Cette époque s'embellit dans mon souvenir par une de ces histoires d'enfants qui vont devenir de plus en plus fréquentes.— J'arrivais un jour, de la ville à la campagne, lorsque
je trouve à l'entrée de la maison mon petit John, alors âgé d'environ quatre ans, me montrant triomphalement une feuille de maculature qui avait traîné par la cuisine :
« Vois-tu, papa ! »
— C'est bon, c'est bon ! lui dis-je, un peu pressé. — Mon petit homme se campe devant moi, et d'un ton indigné :
« Tu n'aimes pas le bon Sauveur ! »
— Sur une pareille interpellation il fallut bien se rendre ; et je me mis à lire ce papier. —
« Hein ! le bon berger, » me dit-il avec joie !
— C'était une mauvaise romance de quelque berger avec sa bergère ; mais le cher petit ne connaissait encore d'autre berger que notre Sauveur ! C'était l'interprétation pieuse du Cantique des cantiques.
• Mémoires par Ami Bost (1854) : I & II - III (supplément)
→ 1790-1814 (jusqu'à 24 ans)
→ 1814-1816 (de 24 à 26 ans)
→ critique des Mémoires : article paru dans la Revue Suisse (1854)
→ Revue de théologie et de philosophie de la Société suisse des sciences humaines : nécrologie d'Ami Bost (1875)
→ Encyclopédie des sciences religieuses (1877) : Ami Bost
→ Larousse du XIXe siècle : Ami Bost
→ Ami Bost : index des documents
→ portraits d'Ami Bost : photographies & gravures
→ famille Bost : index des documents concernant les descendants d'Ami Bost