Noce de diamant de Jenny & Ami Bost
entourés de leurs fils, à Meynard, chez John Bost
le 23 juillet 1874
Meynard, façade nord
Noces de diamant de Jenny & Ami Bost à Meynard
au centre est affiché cette inscription : « Gloire à Dieu »
Vingt-cinq années de mariage, c'est un bonheur qui se rencontre encore souvent dans nos familles, et qui, sans être la moyenne, ne s'en écarte cependant pas de beaucoup. Cinquante années, ou les noces d'or, sont déjà la grande exception, et l'on regarde comme privilégiés les Baucis et les Philémon qui ont pu, la main dans la main, atteindre le demi-siècle. Nous en avons enregistré quelques exemples dans nos colonnes ; mais ils sont rares, et les chances d'y arriver diminuent à mesure qu'on approche du terme. Il y a quelques semaines, à l'autre extrémité du lac, un digne pasteur vaudois allait célébrer le cinquantième anniversaire de son mariage ; les invitations étaient faites, les vieux amis étaient convoqués, les enfants et les petits-enfants étaient accourus au rendez-vous. Encore un jour ! Plus qu'un jour ! Hélas ! le vieux pasteur mourait la veille de la cérémonie espérée, et ceux qui s'étaient réunis pour une fête n'assistèrent qu'à des funérailles.
Mais les cinquante années une fois franchies, ce n'est plus par vingt-cinq ans, c'est par dix ans qu'on mesure les dernières étapes, et c'est par de bien rares unités, rari nantes, que l'on compte ceux qui ont l'heureuse fortune de surnager ensemble au-dessus du vaste gouffre qui doit les recueillir. Certes, ils n'ont plus alors ni la fougue, ni la vigueur de la jeunesse, mais une couronne de sérénité paisible ceint leur front, et les trésors d'une longue expérience, non moins que la rare durée de leur union, justifient le nom de noces de diamant que la voix populaire a donné à ce soixantième jubilé, si riche de souvenirs et d'événements.
Une famille genevoise, dont la plupart des membres sont aujourd'hui fixés à l'étranger, mais qui ont tous conservé d'affectueuses relations avec la mère-patrie, vient de célébrer dans un département de l'ouest de la France, les noces de diamant des deux vieillards dont elle est issue.
Au mois d'août 1814 le jeune ministre Ami Bost, de notre Église nationale, épousait à Genève Mlle Jeanne-Françoise Pattey. En 1874, le vieux pasteur et sa fidèle compagne, retirés Laforce (Dordogne) auprès d'un de leurs fils, voyaient se grouper autour d'eux pendant une fête d'une semaine, tous ceux de leurs descendants qui avaient pu accepter le rendez-vous : huit fils, quatre belles-filles, dix-sept petits-enfants, et un arrière-petit-fils. Un caractère spécial de cette réunion, c'est le grand nombre d'ecclésiastiques dont elle se composait : le père, six fils, deux petits-fils, et un petit-fils par alliance, dix en tout, plus qu'il n'en faudrait pour former un consistoire.
Vingt-sept membres de la famille, sans parler de ceux qui ne sont plus, manquaient au rendez-vous, empêchés soit par leur âge ou leur santé, soit par le trop grand éloignement (un des fils habite avec sa famille le nord des États-Unis). Le moment le plus solennel de la fête fut sans contredit le renouvellement de la bénédiction nuptiale prononcée à cette occasion dans le temple par le fils aîné de la famille, et la prédication qui l'accompagna. En face de la chaire, sur deux fauteuils, les deux vieillards ; groupés autour d'eux à droite et à gauche, tous les membres présents de la famille ; puis dans l'enceinte du temple et jusqu'au fond des galeries, la foule des amis de Laforce, de Bergerac, de Sainte-Foy, d'Anduze, de Genève même et d'ailleurs. Les questions religieuses auxquelles M. Bost père s'est trouvé plus ou moins mêlé depuis soixante ans, soit en Suisse, soit en France, offraient au prédicateur un thème trop riche pour qu'il ne fût pas tenté de l'aborder ; d'autre part, les souvenirs de la vie de famille étaient si nombreux, et quelques-uns présentaient un si vif intérêt, que l'orateur aurait pu s'y attarder ; le passé ressuscitait en quelque sorte tout entier dans ses joies et dans ses souffrances, dans les expériences faites en commun, dans les deuils que la solennité faisait ressortir davantage, dans la pensée des vieux amis de Genève, dont la plupart ont disparu ; et le fait même de cette rencontre qui selon toute apparence, pour plusieurs du moins, ne devait plus se renouveler sur la terre, avait quelque chose d'émouvant qui aurait fait parler les pierres.
Mais l'émotion était plus forte encore que les souvenirs, et c'est elle qui se chargea d'abréger le discours, en élaguant tout ce qui n'était pas l'action de grâces. De l'abondance du cœur la bouche parle ; c'est vrai ; mais quelquefois l'abondance est telle qu'elle étouffe les paroles.
Après un jour consacré à la famille seule, où ceux qui ne se connaissaient pas apprirent à se connaître, et où ceux qui s'étaient perdus de vue depuis des années, refirent connaissance, le vrai jour de la fête, il y eut une seconde journée pour les amis, puis une troisième pour les Asiles, et enfin une journée pour la paroisse et pour quelques invités. Le samedi soir, une table de deux cent cinquante couverts, dressée en fer de cheval dans la cour de Meynard, réunissait les membres de l'église, les membres du comité de Laforce, des paysans et des professeurs, des nationaux et des dissidents, des médecins, des magistrats, des notaires, l'ex-maire, des conseillers municipaux, des conseillers presbytéraux, et un grand nombre de dames de la ville et de la campagne. Le toast fut porté à la sainte Église universelle et à l'apaisement des luttes confessionnelles.
Inutile de dire que chaque repas se terminait par des speechs plus ou moins bien réussis, en prose et en vers, tantôt sérieux, tantôt joyeux, parfois même humoristiques. Il y en eut un où tous les membres de la famille, et par rang d'âge, prirent successivement la parole, depuis le vieux grand-père jusqu'au jeune suffragant de Génerargues.
Douze médailles d'argent, destinées à rappeler les souvenirs de ce jour, furent distribuées aux chefs des différentes branches de la famille. Un habile photographe a recueilli également un certain nombre de groupes destinés à être réunis en albums ; de nombreux autographes ont été échangés ; douze feuilles sur parchemin, ornées d'une vignette préparée à Genève, ont reçu les signatures de tous les membres présents, avec la mention de ceux qui ne sont plus ; une place était réservée pour les absents.
Puis a sonné l'heure de la séparation, moment toujours triste et sérieux, plus sérieux encore lorsque des enfants quittent des parents octogénaires. À plusieurs reprises le vieillard, en bénissant ceux qui partaient, leur dit :
« Aimez-vous les uns les autres. Aimez tous les hommes, toutes les Églises ; il y a du bon partout. J'ai été quelque fois un peu dur, mais je n'ai jamais haï, ni méprisé mes adversaires ; si je l'ai fait, je ne me le rappelle plus, mais j'ai eu tort, je le regrette. Dites à Genève que je suis toujours resté Genevois. Mais tout passe, une seule chose est nécessaire. »
P.-S. Il n'y a pas de fête sans lendemain, et quand la fête rappelle un grand âge, ce lendemain est toujours menaçant. Les lignes qui précèdent étaient à peine composées, que le télégraphe annonçait la mort de la mère de famille : Mme Bost s'est éteinte le 23 août, un mois après la réunion qui vient d'être racontée.
Le Journal de Genève
27 août 1874
- L'article a été reproduit dans la brochure familiale Les noces de diamant de M. et Madame A. Bost, éditée en 1875, avec un second P.-S :
« Quatre mois plus tard, le 24 Décembre, veille de Noël, le vieillard à son tour, quittait ce monde et allait rejoindre sa compagne. »
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