M. Ernest Rayroux commence par remercier les membres du comité organisateur de la fête dans l'église de Nantes de leur large et fraternelle hospitalité. Cette réunion du tricentenaire de l'Édit de Nantes oblige à jeter un regard sur le passé et sur le présent. Qu'y avait-il alors ? Qu'y a-t-il aujourd'hui ? Alors, comme aujourd'hui, Laforce était un lieu de renom.
Alors, sur le plateau qui domine la riante et fertile vallée de la Dordogne, s'élevait un superbe château appartenant à la puissante maison des ducs de Caumont-Laforce. Il y a trois cents ans, cette famille était fortement attachée à la Réforme, et ceux qu'on appelait les « craignant Dieu » trouvaient tous au château hospitalité large et protection. Cela ne dura pas. Sous la pression du clergé, et à la suite d'une persécution parfois brutale, toujours habile et insinuante, la famille abjura et devint catholique. Hélas ! le commerce des lentilles, inauguré par Jacob contre son frère Ésaü, ne périclite jamais : sous une forme ou sous une autre, il a souvent gain de cause : mais la digestion du plat convoité est souvent pénible.
Aussi peu à peu, le lustre du duché de Laforce se ternit, le superbe château fut rasé en 93, et il ne resta debout que l'entrée des dépendances qui s'effrite misérablement et, ô ironie ! ou plutôt réponse de Dieu aux injustices et aux infidélités des hommes, l'ancienne chapelle qui, restaurée, est redevenue le temple de l'Église réformée nationale.
Mais Laforce, retombé dans l'obscurité, pauvre petit village, d'un accès difficile vu le manque de routes ou leur mauvais état, un jour se réveille de sa léthargie, sort de son immobilité, perd peu à peu son aspect miséreux et, comme le soleil après une éclipse, reparaît plus brillant, plus vivant, plus renommé que « oncques ne fust ».
À la grandeur passagère des gloires et ambitions terrestres à jamais disparues, a succédé la grandeur spirituelle de la charité, de cette charité dont saint Paul dit qu'elle ne périt jamais.
Cette renaissance ou cette résurrection remonte à cinquante ans.
L'homme marqué pour cette œuvre fut un jeune pasteur, John Bost, brûlé en lui-même de la double flamme de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain. Inconnu alors, sans appui, sans ressources matérielles, riche de pauvreté et de foi, il se met à l'ordre du Seigneur, sans réserve.
Nous ne pouvons redire le détail des débuts et des progrès incessants de cette œuvre nommée, à juste raison, du nom de son fondateur, et si bien soutenue par les sympathies et les dons de notre protestantisme tout entier.
Après un labeur de trente-cinq ans, sans trêve ni repos, entrelacé comme toutes les choses d'ici-bas de joies et surtout de soucis, John Bost a créé 9 asiles où sont abrités, non pas toutes les misères humaines, mais les principales, morales et physiques : l'enfance abandonnée, exposée dans de mauvais milieux, les idiots, les idiotes : les incurables intelligents, paralytiques, aveugles, boiteux, estropiés : les épileptiques, les gâteux et les gâteuses : la vieillesse, elle aussi, recueillie dans deux maisons spéciales, l'une pour les institutrices, l'autre pour les servantes et les ouvrières.
Depuis 1848 jusqu'à aujourd'hui, plus de 2000 infortunés ont été recueillis, aimés, soignés, la moitié d'entre eux au moins, jusqu'à leur dernier soupir.
Actuellement nous avons 550 pensionnaires. La mort de John Bost n'a pas été une cause d'arrêt dans son œuvre, car cette œuvre était moins la sienne que celle de Dieu qui est amour, et la charité ne périt jamais. Elle s'est développée, au contraire : elle s'agrandit et les progrès ne laissent pas parfois de nous préoccuper.
Mais cette préoccupation, je la repousse en me rappelant ce mot de John Bost :
Voilà l'homme, le chrétien, toujours humble et fidèle, mais actif dans la charité.
En conséquence, vous comprenez combien il m'est difficile de vous dire ce que nous avons reçu et dépensé les cinquante premières années de la vie de nos asiles.
Mais deux faits vous donneront la caractéristique de l'œuvre :
Un jeune garçon de six ans, hydrocéphale et aveugle, nous est amené, et la femme qui l'accompagne lui persuade que Laforce c'est le ciel et que là il sera guéri, il verra.
Quelle déception que la sienne quand il apprend qu'il est à Laforce et qu'il se sent toujours impotent et aveugle ! Quelle explosion de désespoir…, mais aujourd'hui il est consolé et patient. Il sait que le bon Dieu un jour le guérira et il se sent aimé et son cœur, en attendant le grand jour, est calme et reconnaissant.
Une autre fois c'est un évangéliste, usé, sans feu ni lieu que les asiles recueillent : là il y passe ses dernières années et meurt en les bénissant. Les asiles font l'œuvre du bon Samaritain, ramassant les blessés étendus sur la grand'route ou gisant dans le fossé.
Après quelques considérations sur les difficultés et les périls du présent, M. Rayroux conclut ainsi :
Comme nos pères, soyons des « craignant Dieu », fermes, inébranlables.
Soyons aussi des compatissants, généreux, animés d'une libéralité digne de ce nom, sans gémir de la multiplicité des occasions qui s'offrent de l'exercer. Pratiquons la charité dans le sacrifice.
Charité, sacrifice ! Deux vertus distinctes, mais qui se complètent, faites l'une pour l'autre, indissolubles.
Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni !
pasteur Ernest Rayroux,
directeur des Asiles John Bost
Troisième centenaire de l'Édit de Nantes,
Comptes rendu des fêtes
célébrées à Nantes,
le 31 mai, le 1er et le 2 juin 1898
→ Jubilé cinquantenaire des Asiles de John Bost (1848-1898)
→ Jubilé de la fondation des Asiles John Bost par le pasteur Ernest Rayroux, directeur des Asiles
→ Cinquantenaire de la fondation des Asiles John Bost par le pasteur Joël Laforgue
→ Discours du missionnaire François Coillard
→ Souvenirs par son frère Élisée Bost
→ Discours de Timothée Bost & Réponse aux frères Bost par Henri Couve
→ John Bost : index des documents
→ portraits de John Bost : photographies & gravures