Les Protestants étaient sortis amoindris, mais forts encore, des guerres de religion qui pendant trente-huit ans avaient désolé le royaume.
L'Édit de Nantes leur accordait les droits civils et religieux, et, sous la protection d'un roi qu'ils affectionnaient malgré son abjuration, ils jouirent d'une période de repos et de prospérité. Les vivacités, les paroles amères, les injustices même que les raisons politiques et les importunités des Jésuites arrachaient à Henri IV, parurent plus tard aux victimes de la Révocation n'être « que des éclairs dont la matière était consumée aussitôt qu'elle avait pris feu, et dont il ne restait ni chaleur ni fumée ». [1]
D'ailleurs, les concessions de Henri IV étaient sincères : « il n'y avoit rien en lui qui le portât à refuser aux Réformez les moyens légitimes de leur sûreté. Il n'y avoit que les villes d'otage qu'il ne prétendoit pas laisser perpétuellement à leur disposition, et ils n'avoient pas eux-mêmes la pensée de les garder toujours. Quelques seigneurs avoient peut-être sur cela des vues particulières : mais les Réformez, en général, ne s'entêtoient de les retenir que parce que, le Roy étant mortel comme un autre homme, il pourroit mourir dans un tems où la minorité de son successeur pourroit leur causer de grandes affaires. De sorte que, s'ils avoient pu s'y maintenir jusqu'à ce que le danger d'une minorité fût passée, ils se seroient plus aisément portez à rendre au Roy ces Places, qui ne leur auroient plus été nécessaires. Au reste, le seul mot de minorité étoit suffisant pour leur faire peur. » [2] Le nom de Médicis leur rappelait le plus odieux des attentats, et ils redoutaient l'avènement d'un prince élevé par les Jésuites et imbu de leurs maximes.
La mort inattendue du Béarnais vint accroître et justifier leurs craintes. Les Réformés songèrent à faire confirmer leurs privilèges et à les défendre au besoin. Ils n'en restèrent pas moins fidèles au sage conseil que Henri de Rohan donnait, en 1611, à l'assemblée de Saumur : « Que notre but soit la gloire de Dieu et la sûreté des Eglises, nous procurant du bien l'un à l'autre avec ardeur, mais par des moyens légitimes. Soyons religieux à ne demander que les choses nécessaires, soyons fermes à les obtenir. »
Ménagés d'abord par la régente, dont l'autorité était encore mal affermie, on ne tarda pas à leur faire un crime de ces mesures de conservation que tant de trahisons passées avaient rendues nécessaires. Le clergé donnait son appui à la royauté : « mais il ne donnoit rien pour rien. Le premier article de ses demandes étoit toujours quelque chose en faveur de la religion catholique, ce qui s'interprêtoit toujours contre la religion réformée, comme si l'une n'avoit pu se maintenir qu'en ruinant l'autre. » [3]
Le rétablissement forcé du catholicisme dans le Béarn, au mépris des Edits, exaspéra les Réformés et les poussa à une imprudente levée de boucliers. La Cour en prit occasion pour s'emparer de leurs principales places de sûreté. Un moment rétablis dans leurs droits par la paix de Montpellier (1622), la prise de La Rochelle (1628) ne tarda pas à enlever aux Protestants tout moyen de résistance contre le débordement de persécution qui allait bientôt survenir.
Les services qu'ils rendirent à la Cour, pendant les troubles de la Fronde, leur valurent cependant quelques années d'une prospérité et d'un calme relatifs. Dans sa Déclaration du 21 mai 1652, Louis XIV leur témoignait sa reconnaissance : « D'autant que nos sujets de la Religion P. Réformée nous ont donné des preuves de leur affection et fidélité, notamment dans les circonstances présentes, dont nous demeurons très-satisfaits, savoir faisons que, pour ces causes, ils soient maintenus et gardés, comme de fait nous les maintenons et gardons, dans la pleine et entière jouissance de l'Édit de Nantes. » Un dernier synode national se réunit en effet, avec l'autorisation du roi, en 1659.
« Mais cette paix trompeuse finit au traité de Nimègue (1678), et alors on commença de travailler tout de bon à détruire la Réformation, ce qu'on fit d'une manière aussi précipitée que les précédentes mesures avaient été lentes et tardives On donna Déclarations sur Déclarations contre la liberté de conscience. On invita le peuple à se convertir par des promesses, des exemptions, de petites libéralités. On l'y força en lui ôtant par mille arrêts les moyens de vivre, en le chargeant de tailles au-dessus de ce qu'il pouvoit porter, en le faisant piller et outrager par les gens de guerre. On y ajouta les Missions, les Conférences, les projets d'accommodement qui pouvoient toujours servir à surprendre quelques simples, ou à donner un prétexte à ceux qui ne vouloient pas se rendre sans formalité. On éloigna de tous les emplois, ou utiles ou honorables, les personnes un peu distinguées, afin de leur faire honte d'une religion qui les faisoit mépriser et qui les réduisoit à la condition du menu peuple. Enfin, tout d'un coup, on prit les Réformés de tant de cotés que, se trouvant sans union, sans consolation, sans exercice, sans conseil, assiégés de mille pièges qui leur étaient tendus par les Edits qu'on publioit tous les jours, ils cédèrent presque tous à la violence des garnisons ou à la terreur des prisons et des galères. » [4]
Telle était, vers l'an 1680, la situation des Réformés de France, lorsque Claude Brousson, dont nous avons essayé de raconter la vie, commença à se faire un nom au milieu de ce peuple opprimé.
Notes :
Ouvrage cité : Histoire de l'Édit de Nantes contenant les choses les plus remarquables qui se sont passées en France avant & après sa publication, à l'occasion de la diversité des religions, jusques à l'édit de revocation, en octobre 1685, par Élie Benoît (1693) : I - II & III : 1 -2 - 3
1- Voir Préface, tome II
2- Voir Préface, tome II
3- Voir Préface, tome II
4- Voir Préface, tome III
• Vie et ministère de Claude Brousson (1647-1698) par Léopold Nègre (1878) : livre en ligne (ou sur Gallica)
→ Claude Brousson : textes & documents
→ Léopold Nègre (1852-1879) : biographie & photographies