Candidature à la députation
(1869)
Chers Concitoyens,
Je me présente à vos suffrages pour le mandat législatif que vous allez conférer dans quelques jours.
Les opinions que je soutiendrais au Corps législatif de ma parole et de mon vote peuvent se résumer en quatre points : pas de révolution, pas de guerre, progrès, liberté.
Ma conviction est que des révolutions nouvelles seraient funestes, entraveraient les progrès matériels, prépareraient une réaction plus déplorable que celle que nous avons vue après 1848.
La guerre serait, selon moi, funeste qu'une révolution. Elle arrêterait le progrès politique qui tend à s'accomplir ; elle mettrait au hasard les destinées de la patrie ; elle épuiserait le pays. Comme conséquence d'une politique pacifique, je veux la réduction des forces militaires à ce qui est indispensable ; je veux la diminution des énormes contingents militaires qui obligent d'ajourner des reformes urgentes et font sur le pays le poids d'une accablante conscription.
Je serais également opposé aux expéditions lointaines qui ne rapportent pas à la France prix de ses sacrifices. En qui concerne l'expédition de Rome, je voterais pour l'évacuation immédiate. Si le pape veut être un souverain temporel, qu'il se maintienne. comme tous souverains, par une entente avec ses sujets et par une armée recrutée dans ses États.
Je veux un contrôle rigoureux du budget et des finances, le progrès de l'instruction publique, et en particulier le développement de l'instruction du peuple. Dans la répartition de l'impôt, je veux plus d'équité. La terre a été jusqu'ici trop chargée ; je prêterais les mains à toute mesure qui aurait pour objet de la dégrever en faisant supporter une partie des charges aux capitaux qui en sont actuellement exempts.
Je veux la plus grande extension possible de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, de la liberté d'association. Dans les questions religieuses, je ne demande que la liberté. Pour le présent, je veux que le prêtre soit maître dans son église, mais reste étranger aux affaires de la commune et la politique. Dans l'avenir, je veux la séparation de l'Église et de l'État.
Vous pouvez être sûrs, chers Concitoyens que vous trouverez en moi un défenseur zélé des intérêts du pays. Mon indépendance est bien connue : toute ma carrière est une garantie à cet égard.
Ernest Renan.
• Ernest Renan, symbole de la pensée libérale par Jean Gaulmier, in Études renaniennes (1974)
• Les élections de 1869, Bibliothèque de la Révolution de 1848 (1960)
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