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Course dans les Grisons (juillet 1827)

par Ami Bost

Ami Bost évoque une course dans les Grisons dans ses Mémoires. Dans son Supplément (IIIe tome), il publie une lettre adressée à une amie dans laquelle il raconte en détail son excursion, de l'Oberland bernois à Coire. Ami Bost a 37 ans.

Mémoires

(extrait)


C'est ici que commence le voyage le plus romantique que j'aie jamais fait ; mais j'en relègue les longs détails dans le Supplément, afin de ne pas enfler hors de proportion cette partie de mon histoire. Cette excursion dans les Grisons forme un joli souvenir dans ma vie : je me borne à en donner ici une idée sommaire.


Du Beatenberg, déjà très élevé, je redescendis à Meyringen. De là, par un orage qui joncha ma route de branches d'arbres, et même d'arbres entiers couchés en travers, je montai néanmoins jusqu'à Gadmen (4,000 pieds au-dessus de la mer), où ce ne sont plus que les ecclésiastiques qui tiennent auberge. Je passai dans la neige (4 juillet) à la suite d'un guide, le col de Susten (5,700 pieds) [1]. Ce col sauvage et peu fréquenté produit une profonde impression de solitude. En redescendant vers la vallée et le canton d'Ury, tout ce qui n'était pas Sibérie me frappait : « Eh ! des orties ! » m'écriai-je avec étonnement, aux premières que je vis. « Eh ! une poule ! — Eh ! une femme ! » — On ne voyait rien de tout cela par là-haut. —


Dès le bas de la vallée, je tournai brusquement à droite pour remonter la gorge sauvage des Schœllenen ; je passai le pont du Diable, et découvris avec admiration en sortant de cet enfer, le paradis de la vallée d'Urseren. Le même jour je montai encore l'Oberalp (6,000 pieds) d'abord dans des prairies tout émaillées de fleurs, puis dans la neige ; et je redescendis dans les Grisons pour coucher à Ruœras, où je trouvai mon hôte, le curé, jouant aux cartes avec le gendarme de l'endroit, — ce que je dis nullement pour blâmer le fait, mais seulement pour donner à mon récit un peu de couleur locale. Il y a dans les Voyages en zigzag de M. Töpffer un joli morceau sur une scène de ce genre. (Voyez à Venise, 8e journée.) — De là, guidé, vers la fin d'une journée de treize lieues de marche, par une petite fille de huit ans qui me porta mon havresac et qui m'a laissé par son joli caquet, comme on le voit, un long souvenir, j'arrive à la Drinzermühle, puis à Coire, où je vois entre autres le professeur Kind. Je vais visiter les singuliers bains presque souterrains de Pfeffers. Le surlendemain je passe Tusis, la Via-Mala et le Splugen (6,700 pieds), encore couvert de neige. Harassé du hurlement des cataractes gonflées par les pluies de l'orage dont j'ai parlé plus haut, et de mes marches excessives, je contracte un assez grave échauffement d'entrailles. Mais, tandis qu'un de mes amis mourait à Genève des chaleurs de cet été, et que mes collègues tombaient malades par la même raison, je n'en continuai pas moins ma route, moitié à pied moitié dans de mauvaises charrettes. Un pharmacien me soigne pendant deux heures à Chiavenna (Clèven), et je vais coucher à Castasegna, dans un cabaret où les gens parlent encore plus mauvais italien que moi, et où les draps de lit sont couleur de boue ! — Le 19 je me repose chez un collègue à Bondo, couché sur des bancs de bois parce que je ne pouvais supporter d'être assis. J'y prends une potion que m'avait donnée mon samaritain de Chiavenna ; et le lendemain je refais treize fortes lieues à pied en passant le Septimer (7,000 pieds), encore dans la neige. J'arrive par Stalla à Lenz, centre des Grisons, où je passe une délicieuse soirée ; charmante auberge, proprette et honnête, dont la vaisselle portait les lettres BAI, initiales de mes noms et de ceux de tous mes meilleurs amis et amies [2]. À quoi l'on s'accroche dans la solitude et dans l'étranger !


Après être repassé par Coire et Stein, je trouve Wildhaus, joli village alpestre, lieu de naissance de Zwingli (3,400 pieds) [3]. Nouvelle visite à Raperswyl et à Ganten. Puis Zurich, Morgenthal, Berne, Payerne ; et soirée ravissante à Lausanne chez mon ami Fivaz, dans sa jolie maison située hors de ville, en vue du magnifique lac Léman. La soirée était splendide ; et je n'avais qu'une exclamation : « Quelle douceur ! oh ! quelle douceur dans tout ce paysage !… » La grandeur même y était douce ; l'horizon lointain ; toutes les formes et les couleurs enchanteresses, en comparaison des sauvages horreurs que je venais de parcourir.


« Quelle vie douce vous menez (écrivais-je déjà du centre des Grisons), gens de la plaine ! Non, beau lac de Genève ! Tu ne sais pas te fâcher. Vos tempêtes sont plus gracieuses que le plus beau des jours de ces contrées ; — comme la colère d'une femme douce et honnête est plus belle que ne seraient les caresses d'un ours ! »




Supplément

(extrait de la préface)


J'y cherchais des choses à retrancher, et je prenais entre autres, comme l'un des morceaux qui devaient subir ce sort, celui qui doit paraître plus tard sous le titre : Une course dans les Grisons. Mais en le relisant j'ai senti rentrer dans mon cœur les émotions si douces et si innocentes des scènes alpestres ; j'ai revu, pour un moment, ces glaciers, ces cascades, ces riantes pelouses, ces troupeaux épars ; j'ai entendu de nouveau le tintement de leurs clochettes, et je me suis dit : non ; je ne voudrais pas décolorer l'histoire de ma vie en lui retranchant ces charmants épisodes ! Je voyagerai encore une fois, par le souvenir, avant de quitter ce monde, dans ces merveilles sorties de la puissante main de mon Dieu ; et j'entremêlerai ma vie si sévère, et bien souvent si dure, de ces douceurs dont le Seigneur a bien voulu l'embellir par moments !





Course dans les Grisons


Coire, samedi 7 juillet 1827, matin





Chère amie,


Dieu soit loué ! m'y voilà, et en parfaite santé ! — Pour cette fois ce voyage a été mâle ; et ce n'est pas une petite dame comme toi qui aurait pu m'y suivre. J'ai fait, cette semaine, à pied, en quatre jours, cinquante lieues, et dans des montagnes gigantesques ; c'est de bon cœur que je dis : Dieu soit loué ! Voici mon journal depuis ces cinq jours.


Lundi 2.

J'ai fait ce jour-là onze lieues. Il n'y a donc que cinq jours que j'ai quitté Berne ! cela me semble un songe ! Je trouvai en chemin une charrette qui me fit faire quatre lieues de chemin. J'arrivai à dix heures à Thoun, à onze heures à Oberhofen. Monsieur N… était absent ; mais madame et ses filles me reçurent fraternellement. — Comme il leur vint des visites, je résolus d'aller plus loin ce même jour ; et je partis bravement, à trois heures, par une chaleur brûlante, mais qui ne m'affectait point. Je me dirigeai vers le Beatenberg [4], où l'on m'avait dit qu'il y avait un pasteur évangélique : c'était à quatre lieues de là, sur une haute montagne. À une lieue d'Oberhofen, une bonne femme à qui je demandais le chemin, parce qu'il n'y a déjà plus par là de route à voiture, m'offrit de me conduire jusqu'à ce que je ne pusse plus m'égarer : c'était deux lieues plus loin. Comme elle ne me demandait qu'une bagatelle je la pris avec moi, et elle me porta mon sac. Je lui parlai de la vie à venir, et elle en fut bien réjouie et attendrie. Elle ne me quitta qu'après m'avoir conduit dans une maison de paysan, d'où l'on me donna une petite fille pour me conduire jusque chez le pasteur.


Quelle pauvreté commence déjà par là ! Ils cuisent leur café dans un pot de terre, avec l'eau et quelques cuillerées de lait, tout ensemble. On l'apporta sur table ; puis la femme en vida une partie dans une écuelle, pour la revider dans le pot, afin de faire mieux tirer le café. Cette goutte de lait était du lait de chèvre qui avait un goût repoussant : mais en voyage on n'est pas si délicat que chez soi. — Je n'arrivai chez le pasteur qu'après huit heures. Il ne savait d'abord ce qu'il devait faire de moi ; car je n'avais aucune lettre de recommandation ; mais bientôt il devint amical, et me logea chez lui. Les maisons de sa paroisse sont toutes dispersées dans l'espace de deux lieues sur les côtés de cette montagne : elles sont toutes de bois et bien pauvrettes.


Mardi 3.

Journée de treize lieues. Je redescendis la montagne à quatre heures du matin, par une pente rapide à l'excès ; et il a bien fallu ici, et dans les jours suivants, le bon corps que Dieu m'a donné pour que je fisse face à de pareils tours de force. Tu sais comme je suis bon à la montagne : mais là je me suis bien arrêté vingt fois, non par lassitude, mais pour me demander si c'était réellement par là qu'il fallait descendre. À moitié chemin j'entrai dans une cahute de paysan pour demander un peu de lait, parce que je n'avais pas déjeuné : mais leurs vaches étaient au haut de la montagne ; et du lait de chèvre même ils n'en ont que pour faire ce beau café dont je te parlais plus haut. Il s'en trouvait justement là une gamelle, et j'en bus un peu.


Déjà commençaient ces précipices, et ces noirs et profonds torrents qui m'ont tant fatigué les yeux et le cœur dans les jours suivants. Ici j'en traversai un sur un pont composé de quatre poutrelles de trois à quatre pouces d'épaisseur, qui se mouvaient sous les pieds comme les pédales d'un tisserand. C'était désagréable, même un peu grotesque, et légèrement dangereux.


À Unterseen, deux lieues de Beatenberg, je trouvai dans le maître d'école un bon frère qui me fit déjeuner avec lui ; j'adressai quelques exhortations à la femme chez qui il prend pension. Il eut la bonté de renvoyer son école pour deux heures de temps (c'était une école particulière), et il vint m'accompagner, en me portant mon sac… Je m'étais demandé les jours précédents si je ne profiterais pas de ce voyage (que tant d'autres auraient voulu faire, et que j'avais tant désiré moi-même en d'autres temps) pour voir, en me détournant de quelques lieues, tant de choses curieuses pour lesquelles on vient de tous les pays, telles que les glaciers du Grindelwald, la cascade du Staubbach, etc. Mais je ne me suis point senti porté à me détourner seulement d'un pas pour tout cela : et en effet j'ai vu sur ma route directe des glaciers et des cascades, de reste, oh ! oui vraiment, de reste. Beau et paisible lac de Genève, nature douce et tranquille ! Combien je t'aime plus que tous ces cadavres déchiquetés, ces horreurs et ces rugissements qu'on vient admirer de tous côtés ! J'allai donc directement du côté du lac de Brienz, résolu de gagner courageusement du terrain du côté de mes Grisons ; et je quittai ainsi sans regret cette vallée d'Interlaken dont on fait tant de bruit. Je trouve que sa beauté n'est que relative : elle me parut passable, mais voilà tout. Arrivé au lac de Brienz, que je me disposais à longer à pied, les bateliers me demandent si je voulais profiter d'un retour pour Brienz, à quatre lieues de là. — Je ne suis pas Anglais ; combien me demandez-vous ?— Cinq batz (soixante-quinze centimes) [5]. — Accepté.


Mon maître d'école me quitte, et je m'embarque. Je ne sais si c'était pour me faire gagner du temps ; mais le Seigneur nous envoya, juste à l'heure même, un vent directement arrière, si bon, si bon, que je le trouvais beaucoup trop bon. Je suis, sous ce rapport et sous quelques autres, un peu comme M. Töpffer. Les bateliers, eux, étaient tout heureux : ils mettent la voile, et nous volons sur l'eau ; mais, je le répète, ce succès me faisait froncer le sourcil ; car je ne suis pas ami des vagues quand je suis sur l'eau. Notre bateau les fendait à grand bruit ; et dansant légèrement sur leur écume, nous avancions avec rapidité. Mais ce vent amenait aussi de noirs nuages ! Au bout d'une heure et demie il commença à devenir inégal, quinteux : au lieu d'être derrière, il souffla de côté, puis bientôt contre nous : alors on se mit à la rame, et moi avec, pour un moment. Mais pour la dernière heure tout cessa : je m'étendis sur un banc afin de reposer un peu : et à midi, après trois heures de navigation, nous étions à Brienz. Les nuages s'étaient donné rendez-vous pour l'orage de l'après-midi ; et les bateliers s'y attendaient ; car ils disaient, en désignant le vent du midi par ce mot de Fœhn (favonius) qui m'a toujours paru terrible : der Fœhn ist gar unruhig (le Fœhn est bien inquiet) !

bateau sur le lac, François Diday
bateau sur le lac, François Diday

Je saute à bord, et je pars sans rien prendre, pour arriver plus vite à Meyringen, à trois lieues de là, où l'on m'avait indiqué un pasteur bien disposé. À une lieue de distance je fus atteint par un char-à-banc, conduit par un sommeiller vaudois. Nous parlâmes d'évangile ; il n'était pas mal disposé : et il possédait quelques bons traités que des Anglais lui avaient laissé à leur passage. Au moment où je montais sur sa voiture, la pluie commençait : une demi heure après nous eûmes pluie et grêle : mais ce n'était rien auprès de ce qui m'attendait pour cinq heures ! — L'orage se dissipa de nouveau ; et à trois heures j'arrivai chez le pasteur, que je crois en effet être un homme pieux. Il me fit prendre le thé.


Le temps restait douteux ; et Gadmen, la seule station que j'eusse plus loin, était à quatre grandes lieues. De plus, le pasteur de Gadmen, seul aubergiste de ces misérables contrées, était à Meyringen même et devait y coucher, de manière que je ne le verrais pas ce soir si je poussais jusque chez lui. — Mais aussi, faire en ce jour quatre lieues de moins me semblait bien dur… En avant, me dis-je, à la garde de Dieu ; si la pluie se déclare, autant l'avoir aujourd'hui que demain.


Je partis ; mais avec quel ciel ! Noir, sulfureux, gris confus… Tu sais dans quelle attente est toute la nature à l'approche d'un grand orage. Le vent devenait plus fort ; les nuages avançaient lentement ; le jour s'obscurcissait ; et en même temps, pénible accumulation de choses ! je pénétrais dans un pays affreux. À une lieue de Meyringen, la vallée se ferme entièrement par deux rochers entre lesquels la rivière seule a su se frayer un passage. Ces deux rochers noirs ont été déchirés par une secousse quelconque ; et c'est l'unique issue qui existe pour aller au-delà. Je gravissais ces rochers, malgré mon fardeau, avec précipitation. La marche, l'inquiétude de l'orage, la crainte de n'avoir peut-être pas pris le bon sentier, et encore plus peut-être le serrement de cœur que produisait chez moi la vue de cette hideuse nature, tout me tenait dans une agitation difficile à décrire : mon visage était brûlant et ruisselait de sueur. Cependant les arbres s'agitent autour de moi : le vent avance : un sourd roulement de tonnerre m'annonce que le sort de cette heure est décidé. J'avais prié le Seigneur de détourner cet orage : il voulait faire mieux, il voulait m'en préserver. Au moment où il éclate je me trouve au milieu de quelques-unes de ces cabanes inhabitées et sans porte que l'on trouve dans ces montagnes, pour y cacher le foin en temps de récolte. Dans mon imprudence, et toujours pour gagner du terrain, j'avais déjà dépassé de vingt pas la dernière de ces cabanes, lorsqu'un vent furieux arrive ; les premières gouttes tombent et je retourne sur mes pas. Heureusement ! car, comme je l'appris le lendemain, les vieillards du pays ont dit qu'ils n'avaient jamais vu pareil temps. De l'intérieur de ma cahute je voyais traîner par terre, marchant debout, ces épaisses colonnes de pluie et de grêle qui n'ont pas le temps de se partager entièrement avant d'atteindre le bas : l'eau ruisselait par le toit chétif qui me couvrait : mais j'ouvris mon parapluie, je m'assis sur mon havresac, et j'attendis ainsi, en élevant mon cœur à Dieu, quelle fin cela prendrait. Habituellement triste en voyage et effrayé par la tempête, je passai là un lugubre moment. Cet orage a renversé des arbres plus gros que mon corps : deux heures plus tard j'ai enjambé moi-même un grand sapin qui était couché tout au travers de la route, jonchée de branches en quelques endroits.


Au bout d'un quart d'heure, comme j'attendais encore dans l'incertitude, parce que la pluie durait toujours avec force, je vois passer deux femmes sous un parapluie et dans la direction que je voulais prendre. Je leur crie de venir vers moi : car dans un désastre la moindre compagnie vous console. Elles me font signe d'aller à elles : je ne voulais pas : mais comme elles continuent leur chemin, je leur cours après, et nous faisons route ensemble. Elles aussi me disent qu'elles n'avaient jamais vu pareil temps. Notre chemin, qui maintenant descendait avec rapidité, était malgré sa pente rapide un ruisseau ; et nous marchions dans l'eau à deux, trois, quatre pouces de hauteur partout. Elles me déconseillaient absolument de poursuivre ma route et elles m'offraient d'aller coucher chez elles, dans un hameau à dix minutes de là : elles m'alléguaient que j'aurais beaucoup de ruisseaux à traverser ; que les eaux des ruisseaux étaient actuellement enflées ; qu'elles roulaient des cailloux et enlevaient les ponts ; enfin, comme pour rendre la chose tout à fait romanesque, elles ajoutaient que je ne serais pas en sûreté si j'étais obligé de coucher entre leur endroit et Gadmen, au cas où le temps ne me permettrait pas d'atteindre ce dernier endroit. Mais comme je persistais à vouloir avancer, elles m'indiquèrent, à dix minutes de là sur ma route, une auberge où je pourrais coucher, s'il le fallait. Je m'y acheminai en marchant partout dans l'eau, et là je demandai ce qu'on pensait du temps. On croyait avec moi que lors même que la pluie continuerait il n'y aurait au moins plus d'orage ; et l'on me dit que Gadmen était encore à trois lieues sur la hauteur. — En avant, me dis-je encore, à la garde de Dieu ; et me voilà de nouveau en route.


Mais quel pays ! quelles horreurs ! Monter trois lieues, après avoir déjà plus ou moins monté pendant tout un jour ; et n'être encore, au bout de ces trois lieues, que dans une profonde vallée, au pied d'une montagne qui a elle-même trois lieues de haut, et qui n'est de nouveau qu'un passage entre d'autres montagnes encore beaucoup plus hautes que tout ce qui a précédé ! Ce sont, à la lettre, des étages de vallées, dont chacune va en montant, et qui finissent toujours par quelque nouvelle montagne qui ferme la vallée comme un mûr. Il faut surmonter péniblement ce nouvel obstacle pour se retrouver dans une nouvelle vallée ; et ainsi de suite.


Cependant ce ne serait rien si le coup-d'œil de la contrée était beau : mais, au contraire, et surtout dans le moment où je passais par là, c'était une véritable horreur. Des cataractes sans nombre, tombant de toutes les hauteurs, et quelques-unes de plusieurs centaines de pieds ; les unes blanches comme la neige ; mais les autres épaisses de boue, et roulant des rochers. Les ruisseaux eux-mêmes, tous en pente rapide, ressemblaient plutôt à des cataractes. À droite, à gauche, devant et derrière moi je n'entendais qu'un bruit de déluge ; toujours je m'y trompais ; car je croyais entendre de nouveau le roulement du tonnerre. Quand j'avais trois heures de marche devant moi, ensuite deux, et que, pour m'aider, je comparais cela à la distance de Genève à Coppet, à Mornex, à Monnetier, cela ne faisait qu'aggraver encore la pensée de la distance ; et de nouveau je précipitais mon pas, déjà si grand et si rapide. Il pleuvait toujours, quoique doucement, et j'étais tout mouillé : mais encore plus en dedans : la sueur me tombait par devant et par derrière les oreilles, comme lorsque les enfants s'y pendent des cerises ; elle tombait aussi du front sur mon habit et mon pantalon. Mais les forces ne me manquaient pas. Seulement, quand, après avoir marché une puissante heure je n'avais fait qu'une lieue, et que je voyais de nouveaux murs et de malheureux sentiers en zigzag devant moi, il me tardait bien d'entrer enfin dans cette cure de Gadmen, où je devais me reposer. À une lieue et demie de là, j'eus la bonne idée, soit pour la compagnie, soit pour me soulager de mon fardeau, de prendre avec moi deux petits paysans : c'est dans cette dernière partie de la route que je vis tant d'arbres renversés ou ébranchés. Si j'avais été à cheval je n'aurais pu passer.


Après tout, si j'ai pu dire que le coup-d'œil général était hideux, à cause des circonstances du moment, je dois convenir que la scène était par moments fort imposante. Quelquefois les nuages s'entrouvraient ; et alors, à une hauteur où je n'aurais jamais pensé à lever les yeux, je voyais de grands fantômes d'alpes regarder dans la vallée comme d'un autre monde. C'étaient des montagnes absolument nues, sans végétation, et dont les arêtes crochues étaient déchirées en tout sens. L'air pur dans lequel s'élèvent ces sommités fait qu'on les voit si distinctement qu'elles semblent surplomber le reste ; et toutes les fois qu'ayant oublié leur hauteur on les revoit de nouveau, on est frappé de leur présence ; elles ressemblent à des êtres vivants et surnaturels.

Vue de Susten, Xavier Leprince
Vue de Susten, Xavier Leprince

Enfin, à huit heures, après avoir marché plus vite que les gens même du pays, j'eus le bonheur d'arriver à la cure où était la femme du pasteur. Mais quelle cure ! quelle femme ! quel village ! — Ce hameau se compose de quinze à vingt cabanes, auprès desquelles celles du moindre de nos villages figureraient encore très bien. La cathédrale de l'endroit n'était guère plus longue qu'une bonne chambre ; il me semblait que j'aurais pu passer la jambe par-dessus le clocher, dont la pointe ne s'élevait certainement pas plus haut que le haut de la fenêtre d'un premier étage. Le bas des murs de cette église était en pierre, jusqu'à la hauteur de six pieds : le reste, y compris le clocher, en bois. On ne se sert pas d'argent dans ce pays, ni de viande. Il y avait déjà un jour et demi que je n'en avais mangé ; et j'en ai passé encore deux, jusqu'ici, sans en revoir.


En arrivant je ne me fis pas prier pour me changer de pied en cap ; et je fis sécher tous mes habits pour le lendemain : on me prêta même quelques effets du pasteur, parce que ceux même qui étaient dans mon havresac avaient été mouillés, je ne sais comment !


Il s'agissait de passer le lendemain dans les neiges une haute montagne, le col du Susten [6]. On ne savait trop le temps qu'il ferait : mais je fis venir un guide avec qui j'accordai de passer le col dans tous les cas, en lui donnant rendez-vous pour quatre heures du matin.


Mercredi 4.

Autre journée de treize lieues. Passé deux montagnes dans la neige. Je partis à quatre heures et demi avec mon guide, boitant un peu pour les premières minutes, parce que j'avais un doigt de pied un peu écorché : mais cela passa bientôt ; et mon guide s'étonnait que je le fisse marcher plus vivement qu'il n'aurait voulu. L'air léger des montagnes m'égaie toujours, tu sais ; et, sans oublier la présence du Seigneur, j'étais joyeux comme un enfant. Toutes les fois que le guide me proposait le choix entre un chemin plus pénible, mais plus court, et un plus long mais plus aisé, tu sais quel était mon choix. Le temps était encore couvert ; mais il avait pourtant quelque bonne apparence. Avec l'idée vaillante, et presque trop hardie, de repasser vers le soir encore un autre col, après avoir monté et redescendu celui-ci, afin d'arriver le même jour dans les Grisons, je désirais ardemment le beau temps ; car le vent et la pluie amènent à la fois peine et danger, « là-haut sur ces montagnes où il n'y a point de berger. » Le guide me disait que mon plan était trop fort. — Allons toujours. — Après deux heures de montée, nous arrivâmes dans les neiges— Et puis, le bel ouvrage que l'orage de hier avait fait ! Outre des monceaux de grêle qui étaient encore là, les ruisseaux qui traversent à tout moment la route par dessous le sentier avaient pris le dessus, parce qu'ils étaient trop forts, et y avaient étendu des masses de rocailles qui, en certains endroits, le barraient entièrement à quelques pieds de hauteur. Il nous fallait grimper par-dessus, passer dans l'eau, passer dans les pierres : heureusement que qui prouve trop ne prouve » rien : une fois fait à ce train on n'y regardait plus : je puis dire que depuis hier à quatre heures jusqu'au soir de ce jour-ci j'ai eu toujours les pieds dans l'eau : je changeais de chaussure deux fois par jour ; mais à tout moment il fallait de nouveau marcher dans des ruisseaux.


À la hauteur où commençaient les neiges, nous vîmes un chalet seul et pauvre où se tenaient deux laitiers. Ils nous donnèrent un excellent laitage qui nous revint beaucoup. Une fois dans les neiges nous coupâmes encore plus au court que précédemment ; et enfin nous atteignîmes le col après avoir laissé à nos côtés et surtout à droite d'innombrables glaciers. Quelle grande nature ! Quand vous êtes élevé à ce point vous croyez avoir le droit de regarder horizontalement pour rencontrer des sommités : mais non : des masses plus hautes s'élèvent de toute part au loin ; quand vous pensez avoir enfin atteint les plus grandes, une autre toute blanche les dépasse encore ; puis, quand les nuages laissent entr'eux une ouverture, vous voyez, dans ce vide, un autre géant, dont le précédent n'est plus que le marche-pied. Ces masses magnifiques, vivant dans un azur toujours calme, ressemblent, je l'ai dit, à des êtres d'un autre monde : l'effet ne se décrit pas.

vallée de Gadmen, Caspar Wolf
vallée de Gadmen, Caspar Wolf

Une fois au haut ce fut un cri de joie ; puis nous nous mîmes à descendre en courant, tout droit en bas, dans la neige. Heureusement que nous fîmes tous deux une bonne glissade dans un endroit où il n'y avait point de danger ; car nous arrivâmes assis, plus bas que nous ne voulions, mais riant beaucoup. Cependant c'était un avertissement ; car il nous fallait passer des avalanches placées en travers de notre route : dans ces cas, pour ne pas glisser jusqu'au bas de la montagne, il faut enfoncer fortement le talon de la botte, afin de faire un trou à chaque pas. Quand la montagne et la pente de l'avalanche sont très roides, il faut encore s'aider des mains. Nous avons eu quelques mauvais passages de ce genre : mais nous avons pris garde, et Dieu nous a préservés.


À la descente, mêmes scènes qu'à la montée, la route à tout moment coupée par des eaux, par des monceaux de rochers et des avalanches : mais nous étions dans le canton d'Uri que je n'avais encore jamais vu ; ce seul fait me remplissait de joie ; et le temps ne menaçait plus.


Calcule maintenant les hauteurs, en prenant pour point de comparaison notre Salève, qui est à trois mille pieds au-dessus du lac de Lucerne ; Gadmen est deux mille pieds plus haut ; le col quatre ou cinq mille : à midi je me retrouvai tout au bas à sept cents : après-midi, je remontai ensuite, vers trois heures, à trois mille ; puis je passai, le soir, encore un col de quatre à cinq mille pieds ; et je redescendis, à huit heures, jusqu'à deux mille. De sorte qu'en ce seul jour j'ai fait six mille huit cents pieds de montée et six mille huit cents de descente. [7]


Mais je viens d'anticiper ; retournons à mon Uri. Que j'étais heureux de me retrouver dans des pays moins féroces ! Tout me réjouissait et me paraissait nouveau. Eh ! un chien ! eh ! une poule ! eh ! une femme ! eh ! des orties ! c'est dans cet ordre que les objets se présentèrent successivement à moi ; et à mesure que je voyais quelque chose de pareil aux objets de la plaine ou plutôt des vallées, j'en étais tout surpris. La différence extrême des climats qu'on traverse en quelques heures, produit en nous la même impression qu'un long voyage qu'on aurait fait en un temps beaucoup plus long.


Quant au peuple d'Uri, c'est une race singulièrement pauvre. Pour chaussure ils ont des semelles de bois légèrement recourbées autour du pied, qui s'y fixent comme des patins, et qui sont garnies de grosses pointes de fer comme celles qu'on met aux chevaux pour les ferrer à glace.


Cependant mon guide, à qui j'annonçai quelquefois l'évangile en chemin, me quitta à Meyen, six lieues de Gadmen ; et, après avoir dîné très sobrement, je continuai de descendre la longue et profonde vallée qui forme le canton d'Uri. Mais, si j'ai appelé féroce le pays qui précède, comment appeler celui-ci ? Les montagnes noires qui le couvrent sont brisées en mille fragments qui se précipitent sur leur pente et jusque dans la rivière ; et celle-ci, se heurtant partout, rugit, comme elles le font toutes dans ces contrées, de rocher en rocher : on marche de tous côtés dans des décombres couleur ardoise ; et le cœur se serre de frayeur et presque de dégoût. Heureusement la grandeur et la beauté des glaciers, qu'on voit dépasser de temps en temps, vient vous rappeler les idées d'une tranquille résignation.


Je continuai mon grand pas avec une force qui me surprenait moi-même. Le temps était devenu tout beau, presque brûlant. À Vasen, je cessai de descendre la vallée du Meyenthal, et tournant à droite, je commençai, vers midi, à monter celle de la Reuss, qui devait me ramener en deux heures et demie à trois mille pieds de hauteur, à Andermatt, dans la vallée d'Urseren. Je marchai avec courage, jouissant pendant une heure et demie d'une belle chaussée, seul bout de route que j'aie vu en ce genre jusqu'à deux lieues d'ici : puis recommencèrent les petits chemins. Mais, pour décrire le pays que je parcourus alors, après tout ce que j'ai déjà dit, les termes me manqueraient pour la gradation, si le peuple n'y avait pourvu en appelant « Pont du diable » l'un des ponts qui traversent ce pays ; il mérite quelque appellation de ce genre par l'épouvantable spectacle qui l'entoure pendant une demi heure ; des montagnes énormes qui se rapprochent toujours davantage et qui deviennent toujours plus nues, puis, à la fin entièrement, absolument nues ; des rochers noirs et gris, tout brisés ; une route, non pas taillée dans le roc, mais qu'il faut soutenir en quelques endroits, à côté de la montagne au-dessus de l'abime ; le bruit, le rugissement, l'écume de la Reuss, qui bondit de roc en roc ; et toutes ces choses croissant de moment en moment ; des ponts qui traversent à chaque instant cet horrible détroit, pour chercher celui des flancs de la montagne qui offre le moins de précipices ; et à la fin, comme pour vous ensevelir dans cette scène ou pour la couronner, le passage devenant impossible entre les rochers si la main de l'homme ne l'ouvre : c'est une galerie creusée dans le roc pour vous sortir de cette impasse, tout au haut du défilé… [8]

Pont du diable, William Turner
Pont du diable, William Turner

Mais alors que voit le voyageur ? C'est comme un songe, une vision, un enchantement ! On a peine à en croire ses yeux et ses oreilles ? D'un seul pas, oui d'un seul pas, vous êtes dans un autre monde. La Reuss ne hurle plus à vos oreilles, pour bondir de cascade en cascade ; elle roule doucement ses flots paisibles sur un fond horizontal, entre deux rivages couverts de verdure : sous vos pieds vous foulez une herbe tendre et fraîche : une douce vallée, toute verdoyante et nivelée, s'ouvre devant vous dans toute sa largeur ; une charmante église blanche, surmontée d'un clocher vert, et un beau village s'étale à vos yeux à cinq minutes de là, adossé contre une montagne couverte de végétation jusqu'au haut : vous n'entendez plus une seule cataracte, mais le chant des oiseaux : sorti de ces défilés comme par un trapon [9], vous pensiez dominer le monde et avoir sous les pieds une montagne nue et maudite, et voilà que vous vous retrouvez au fond d'une vallée délicieuse. « Le Valais ! » m'écriai-je ! C'était une erreur de ma part, mais qui ne fit qu'ajouter d'abord à mon enchantement. Je crus que c'était l'extrémité de ce canton ; et je me disais que son autre extrémité touchait à l'un des bouts du lac de Genève. Du reste le Valais commence à quelques lieues de là : et l'erreur ne me fit rien. — Chère vallée d'Urseren ! Quelle image de la paix qui succède à la tourmente ! Le soleil y brillait dans toute sa beauté : toutes les pentes étaient douces, et on voyait devant soi un grand bout de plaine. Je te souhaite, chère amie, de même qu'à tous les hommes, une paix de ce genre après chacune de tes peines, et de leurs peines.


Ajoutons que pour couronner cette scène je vis à quelques pas de moi, sur l'autre rivage de la Reuss, un joli petit renard, le premier que j'eusse vu dans ma vie, qui venait s'amuser au soleil et que j'observai longtemps tout à fait à mon aise.


Arrivé à Andermatt (c'est le nom du village qui frappe les yeux au sortir du trou d'Uri), je pris vite quelque chose ; je fis venir un guide ; et à quatre heures nous nous remîmes en route pour passer encore ce soir un nouveau col, celui de l'Oberalp [10]. Il était placé à deux heures de marche plus haut que la vallée, par conséquent aussi haut que celui du matin ; mais moins horrible. Nous montâmes d'abord au milieu de charmantes prairies, émaillées de brillantes fleurs ; cependant nous trouvâmes ensuite encore plus de neige qu'au Susten ; puis, au bout des deux heures de marche mentionnées, nous atteignîmes le haut… Les Grisons ! m'écriai-je, comme celui qui aurait pris d'assaut une redoute ; et mon œil plongea avec ravissement jusqu'au bout de l'horizon, où se montraient déjà les montagnes du Tyrol. Je longeai aussi, par la vue, la vallée longue de seize lieues qui allait finir à Coire. À droite et à gauche, de magnifiques glaciers ; derrière moi la Fourka, le Grimsel et autres sommités de ce genre ; je me sentais comme au milieu d'un congrès des souverains de la nature ; et en effet cette famille royale forme la contrée la plus élevée de l'Europe ; car c'est de là que descendent le Rhône, le Rhin, la Reuss, le Danube même ; car l'Inn, qui vient des Grisons, peut être considérée comme la vraie source de ce grand fleuve.


Mais il fallut bientôt descendre ; et alors la neige servit de nouveau à abréger le chemin. Comme elle portait juste au point de laisser entrer le pied à une profondeur de deux ou trois pouces, nous descendions, en courant, comme le matin, les pentes les plus rapides sans suivre d'autre chemin que la droite ligne ; et de nouveau je laissais encore mon guide en arrière. À huit heures, après mes treize lieues, nous arrivâmes dans un hameau où c'était, selon la coutume de ces pays, l'ecclésiastique (ici catholique) qui tenait auberge.— Je le trouvai jouant aux cartes avec un gendarme ; tous deux en manches de chemise, et marquant leurs coups avec de la craie blanche sur une grande table dont le dessus était d'ardoise. Du reste il est bien heureux s'il n'a jamais fait plus de mal que cela. Je renvoyai au lendemain d'essayer avec lui un bout de conversation ; je pris pour tout souper, après une pareille journée, une soupe liquide, et montai dans l'appartement qu'on me donnait en commun avec mon guide. Quoique je ne sois pas de haute taille, je commençai ici à trouver que toutes les maisons du pays me faisaient tomber mon chapeau de dessus la tête ; et comme nos lits étaient très hauts, il s'agissait de se glisser dedans par le côté pour s'y coucher ; car il n'y avait que deux pieds de distance entre les coussins et le plafond. Je pris par distraction le plus mauvais lit, qu'on avait destiné à mon guide ; et celui-ci, pour me rassurer, se coucha habillé, même sur le lit propre, qui devait être le mien. On n'est pas sûr, à ce qu'il paraît, des draps dans lesquels on couche par ici. [11]


Le lendemain matin, jeudi 5, levé de nouveau à quatre heures, avec treize lieues devant moi, pour atteindre le premier ami dont on m'avait donné l'adresse. Je parlai un moment au curé : mais, quoiqu'il n'ait pas résisté, il parut peu sensible. Je lui citais en latin le mot : « Si donc vous êtes ressuscité, etc. » (Colossiens, 3, 1) ; et il ajouta très bien : « Non quae super terram » [12]; mais c'était, à ce qu'il me sembla, de la mémoire et non du sentiment. — Après avoir fait une demi-lieue j'atteignis un homme qui cheminait du même côté que moi. Il parlait allemand, tandis qu'ici on parle roman [13] ; il me dit qu'il faisait cinq lieues du côté de Coire ; et voilà une compagnie. Il me prit même mon havre-sac, et me conduisit par des sentiers à la fois meilleurs et plus courts. Précieuse spéculation. Nous fîmes nos cinq lieues et demie sans nous arrêter : puis vint le moment de nous quitter, et je continuai seul. Le pays est assez monotone : les montagnes sont partout d'une hauteur extrême ; mais l'effet n'est plus si sauvage ; et on ne voit que de temps en temps quelques sublimes glaciers regarder par dessus les montagnes environnantes comme pour vous dire : « Il y a quelque chose de plus grand que ce qui vous entoure de près. »


À ce moment (juillet) le pays se mêle d'avoir le printemps dans toute sa petite richesse, des églantines charmantes, des fraises en fleur, et plus bas des cerises qui commencent à rougir. Dans cette journée si longue je n'ai rencontré que deux petits charriots à un cheval ; les roues allaient à la hauteur de mon genou, le charriot à la hauteur de mes hanches ; et comme l'un de ces charriots était chargé de foin, j'ai posé ma main très facilement sur la partie la plus haute de la charge. — On voit ici, pardessus le Rhin, déjà très large, une espèce de pont assez peu rassurante, destinée aux piétons ; ce sont trois arbres équarris posés bout à bout l'un sur l'autre, de manière que l'arbre du milieu ne porte que sur les extrémités des deux autres qui sont suffisamment chargées et enfoncées dans le rivage pour ne pas céder.


Vers une heure de l'après-midi, il faisait une chaleur étouffante. J'étais sur le point, en traversant un village, de me coucher à l'ombre sur quelque chose que je croyais être des débris de feuilles et de foin, étendus à côté de la route ; mais, en y regardant de plus près, je vis que c'était du fumier desséché. Un aubergiste me fit monter chez lui, où je m'étendis délicieusement sur un banc : mais les mouches me firent lever au bout d'une demi-heure. —Dans tout ce voyage je manquai plusieurs fois la route, qui ne se distingue pas toujours bien des sentiers : et alors c'était un redoublement d'échauffement causé par l'inquiétude. Vers le soir surtout, on me parla d'un sentier qui abrégeait : j'y entrai hardiment, en fixant les yeux sur la direction où je devais retrouver la route. Mais quelle corvée ! Je m'éloignais, m'éloignais toujours plus du bas de la vallée : je quittais le Rhin, je montais, toujours montais, et ne trouvais personne sur mon chemin. Quoique chargé et à la montée, mon pas était plus rapide que dans la plaine. Après trois quarts d'heure de cette marche forcée je me trouvai avoir bien calculé : mais il a fallu un corps bien solide pour un voyage de ce genre : j'avais la bouche sèche, et le corps trempé de sueur. Cependant les lieues étaient toujours plus fortes qu'on ne me les indiquait ; le jour baissait ; et j'avais l'esprit et le cœur fatigués de cette espèce de travail de forçat, auquel me poussait mon impatience : je demandai un guide pour la dernière lieue ; et on me donna une charmante petite fille de sept à huit ans, qui avait la langue affilée… comme une petite fille, et qui me racontait toutes sortes d'histoires tout en m'accompagnant à grands pas. Elle s'affubla même gaîment de mon havre-sac, et me conduisit encore par des sentiers à la fois plus doux et plus courts. Cependant la nuit avançait, et ma petite commença à s'effrayer. Elle voulait sérieusement s'en retourner chez elle, et me laisser continuer seul. Je ne pus y consentir ; mais il me tardait d'autant plus d'arriver chez mon landamman, espèce de juge-de-paix, ou de chef de district, auquel j'étais recommandé, et que je croyais être un préfet [14]. On m'en avait parlé comme d'un frère : j'avais fait treize mortelles lieues pour l'atteindre ; et j'allais trouver en lui les prémices des Grisons ; quelle joie ! J'avoue de plus que cette qualité de landamman me plaisait en ce quelle semblait m'annoncer quelque aisance, peut-être beaucoup, et par conséquent, comme il m'était bien permis de le désirer, un peu de bien-être et une société cultivée.— Connais-tu le landamman N…, dis-je à ma petite femme, que je comparais avec plaisir à ma petite Marie ? [15]

fille des Grisons à la fontaine, Giovanni Segantini
fille des Grisons à la fontaine, Giovanni Segantini

— Oh ! oui, c'est lui qui tient le cabaret.— Comment ! le cabaret ? — Oui : il est aubergiste aussi ; mais j'ai bien peur qu'il ne soit déjà couché : il se couche toujours de bonne heure. — « Oh ! nous le ferons bien lever. » C'était neuf heures du soir. — Nous arrivons dans l'endroit, et ma petite arrête devant une assez pauvre maison sans enseigne. — C'est ici. — Ici ! Allons ! mes idées s'abaissent encore. Tout est fermé. Je heurte. Le vagistas d'une fenêtre s'ouvre en haut. Qui est là ? — Je réponds.


— « On est déjà couché : on ne peut recevoir. » Et le vagistas se referme. Je tiens conseil sur la rue ; puis je recommence à heurter. Il n'y a d'abord qu'un gros chien qui répond du dedans : mais enfin la forteresse capitule et on m'ouvre sur le nom, que j'indique, d'un frère Adam qui était leur ami. Mon landamman était un gros homme ventru, louche, le bas du visage plus large que le haut, qui vint sans habit, ni gilet, ni bretelles, tout débraillé. On me fit des excuses, et très bon accueil : ils me dirent, ce qui est vrai, qu'ils ne sont point aubergistes réguliers, qu'ils ne couchent que rarement, etc. On me donna à souper, puis un excellent lit, large pour trois, où je dormis prodigieusement bien. J'ai rarement écrasé un lit comme je le fis cette nuit.


Le lendemain matin, vendredi 6, nous conversâmes amicalement ensemble. Lui et sa femme, de même que quelques autres personnes du village, forment un petit troupeau de frères moraves. Son frère m'accompagna à une lieue de là, sur la route de Coire ; et je visitai, en passant, un collègue à Drins et un autre à Felsberg.— Mais quel plaisir j'éprouvais à me retrouver dans la civilisation ! j'admirais tout comme un sauvage. Eh ! une voiture ! suspendue sur des ressorts ! de bons coussins dedans ! deux chevaux devant ! une belle chaussée ! J'étais dans l'enchantement. — Un jeune frère me logea à Coire ; mais je n'y trouvai pas toutes les commodités désirables. La chambre où je devais coucher avec lui avait une odeur étrange et désagréable ; et je découvris bientôt que c'était pour faire la guerre à une malheureuse engeance d'insectes au moyen d'une drogue auprès de laquelle notre térébenthine est un parfum. Le lit portait des marques de tout cela. Nous résolûmes de laisser la nuit les fenêtres ouvertes : mais nous eûmes, je crois, tout à la fois et les bêtes et l'odeur et le froid ; outre que le lit ne consistait qu'en une paillasse remplie de feuilles. Heureusement je ne regarde pas trop à ce dernier point.


L'impression générale que me fait le pays est dure et pénible ; ce qui tient surtout, j'en conviens, à la manière dont je voyage. Oh ! quelle douce vie vous menez, gens de la plaine ! Beau lac de Genève ! tu ne sais pas te fâcher. Tes tempêtes sont plus douces que le plus beau jour de ces contrées ; comme la colère d'une femme douce et honnête serait plus belle que les caresses d'un ours.


Le mardi matin (10) je me remis en route pour Bondo, où j'avais l'adresse d'un collègue pieux ; mais j'étais fatigué ; et je portais déjà en moi les germes d'un dérangement d'estomac qui se déclara le lendemain. Je fis route par une chaleur étouffante : à midi je pris une voiture pour faire deux lieues et demie de chemin : je traversai cette fameuse Via-Mala (male-vie, mauvaise voie) qui est une curiosité du genre des routes de Moutiers et du Simplon, mais supérieure encore à toutes deux pour l'horreur du coup-d'œil. Même à présent que j'en suis sorti je répugne à en faire la description. Au lieu d'admirer, mon cœur était écrasé ; je sentais que ma force morale était usée ces jours par la fatigue du corps : tout m'effrayait : je me retrouvais dans les montagnes déchirées et à dimensions colossales : la chaussée, du reste très belle, avait coûté une quantité de vies d'hommes, et me repoussait par cette raison ; le rugissement des cataractes me faisait toujours croire que c'était quelque tonnerre lointain que j'entendais : il me tardait d'en avoir fini avec ce pénible voyage ! Puis revenait le sentiment de la solitude, dans un pays dont je ne savais pas la langue ! Je recommençais à monter, toujours monter : je voyais en outre les premiers symptômes de ce caractère italien qui me faisait trembler : un langage criard, violent, cassant ; il me semblait que tout rocher allait m'écraser, toute cataracte m'engloutir, tout homme sur la route m'assassiner. Du reste je ne rencontrais pas beaucoup de monde.


Je dois faire ici une remarque intéressante. C'est dans ces lieux que j'ai vu sur les maisons les plus belles inscriptions que j'aie rencontrées en aucun pays. L'une, en allemand, exprimait à peu près cette idée :

Je te salue, passant ! Souhaite-moi tout ce que tu voudras : je t'en souhaite deux fois autant.

— Je me hâtai de souhaiter à l'auteur la grâce de Dieu .


Je remarquai plusieurs autres inscriptions encore plus belles et plus religieuses ; une en latin entre autres qui finissait par ces mots :

Christ l'accomplissement de la loi.

Singulier texte en pays catholique ! — Mais ce qui me surprit surtout au-delà de toute expression, ce fut de voir, non plus régulièrement sur le frontispice de la maison, et par conséquent, comme on pourrait le penser, par suite d'un simple usage, mais en grosse écriture libre, tracée en craie rouge, sur un mur, une longue sentence italienne dont il ne m'est resté que ces mots…

Heureux qui sert Jésus d'un service du cœur, etc…

Protestants ! Avons-nous beaucoup d'inscriptions de ce genre dans nos contrées ?


Mais j'étais trop fatigué, de cœur surtout, comme je ne puis assez le répéter, pour que cette impression de fatigue ne reprît pas toujours le dessus. — À huit heures, après avoir plus ou moins monté tout le jour, pendant douze heures, j'arrivai à Splugen, village situé au pied d'une montagne couverte de neige que je devais passer le lendemain. [16] Comme la diligence devait arriver pendant la nuit, et que j'étais malade, je retins une place pour Isola, à cinq ou six lieues de là, et je priai l'aubergiste de ne me réveiller qu'au moment du départ à peu près, et non comme tant de gens le font stupidement, toute une heure avant. Mais ce fut bien inutile ; on me fit lever à trois heures, et nous partîmes à quatre heures, le mercredi 11. La route étant très fréquentée, la place qu'occupent les voitures n'a plus de neige : mais nous en avions souvent douze pieds à nos côtés. Tout recommençait à me donner des idées de danger : il n'y avait plus qu'éboulements de neige et de rochers, et de temps en temps une maison appelée maison de refuge, ou de secours, ce qui n'est pas très rassurant. Après avoir déjeuné à trois heures du matin, et bu à la douane un peu de lait chaud, je ne pris absolument plus rien de toute la journée, jusqu'au lendemain à midi : trente heures ; j'étais décidément malade.


Arrivé à neuf heures et demie à Isola, par une route bordée de précipices pendant plus d'une heure de suite, je descendis de voiture avec trois autre passagers, pour finir la route à pied. Sotte économie ! Je fus bientôt obligé de laisser passer devant moi mes compagnons de route ; et après m'être traîné péniblement pendant trois quarts de lieues je vis que je ne pouvais plus avancer, et je résolus de me faire conduire au moins jusqu'à Clèven (Chiavenna), à quatre lieues de là. Il faisait une chaleur brûlante, et j'avais tremblé de froid quelques heures auparavant. J'entrai dans une mauvaise auberge, où à peine je pouvais me faire comprendre, pour y demander un véhicule quelconque ; mais on me dit qu'il n'y avait pas un charriot dans tout le village. J'allais attendre que la diligence, qui s'arrêtait trois heures à Isola, repassât par cet endroit, pour la prendre ; mais heureusement que j'eus l'idée d'aller dans une autre auberge du village, pour voir s'il n'y aurait point là de voiture. J'y revis avec surprise, en entrant, mes trois autres compagnons de voyage, assoupis sur des bancs et qui demandaient aussi une charrette. Étant quatre, nous pûmes mieux faire une somme capable de décider notre aubergiste qui, au bout de deux heures d'attente, nous amena un charriot de paysan et un cheval. Pendant ce temps, mon mal avait beaucoup empiré : je demandai de l'eau sucrée chaude ; mais elle avait cuit dans une cafetière sale, elle sentait la fumée, et je ne pus en boire. À chaque voiture qui passait, avant qu'on se fût décidé à nous en donner une, nous nous levions en sursaut pour voir si ce serait une occasion. Dans l'un de ces moments, je fis un accroc à la manche de mon habit, le seul bon que je possédasse : c'est un évènement dans la vie du pauvre. Enfin nous montâmes vers midi dans notre charrette, et par une chaleur brûlante nous trottâmes durement sur une route souvent mauvaise. En route, deux paysans italiens montèrent encore sur notre voiture, me déchirèrent un des pans de mon malheureux habit, et puis nous retardèrent en dérangeant les échelles du char. Enfin nous arrivâmes, vers deux heures, à Chiavenna. Mes premiers pas se dirigèrent chez un pharmacien, qui me combla de bontés, me fit monter dans sa chambre, et me donna tous les soins qu'on peut donner dans le cas où je me trouvais. Nous pouvions du reste à peine nous comprendre ; mais je me souviendrai toujours de son humanité envers moi.


Pendant que je me reprenais ainsi un peu, un homme alla me chercher une autre charrette de paysan pour me conduire à Bondo, à trois lieues de là ; toujours en montant, depuis Chiavenna. Je partis à six heures ; mais ce fut un triste et rude voyage, sur une route pavée, mais mal pavée dans toute sa longueur, et toujours montante. Mon conducteur était un homme dur qui ne s'inquiétait pas de mes supplications, que du reste il me fallait faire en italien et qui étaient par là même courtes et imparfaites. Nous passions au pas et lentement entre des gorges de montagnes ; à ma droite je voyais le tombeau de la ville de Pleurs, ensevelie tout entière, il y a deux cents ans, sous une chute de montagne ; partout des entassements de rochers éboulés et des cascades [17] ; puis la nuit tombante et la perspective toujours croissante de ne pouvoir pas atteindre mon ami pour aujourd'hui ! En effet, il était neuf heures et demie du soir que j'en étais encore éloigné d'une lieue ; je n'osai pousser plus loin, je payai mon méchant conducteur, et demandai une auberge, ignorant, hélas ! qu'il y avait, comme je l'appris le lendemain, un pasteur protestant dans l'endroit même ! [18] On était d'ailleurs déjà couché partout : je fus reçu comme par grâce dans un mauvais cabaret ; là, à la lueur d'une petite lampe, on me conduisit dans un galetas où se trouvaient trois lits, dont deux occupés. Le drap du troisième avait déjà servi longtemps, je ne savais naturellement à qui ; et la couverture était un énorme duvet sans drap supérieur. Je m'aperçus que ces gens parlaient de moi défavorablement et en se moquant : je ne savais pas seulement si j'étais en sûreté dans cet endroit ; on ne me donnait pas même d'eau à boire : voilà comment finit ce triste jour. Qu'on pense à toutes ces circonstances réunies : seul, étranger, très malade, à jeun, souffrant, mal reçu, ayant manqué le but de ma journée, craignant, comme il m'était déjà arrivé à Turin, en 1811, de prendre dans mon lit sale quelque maladie de la peau ; c'était une position affreuse. Puis, comme il m'arrive dans des cas de ce genre, l'abattement prend quelque chose de la peur, et m'ôte un peu la présence d'esprit ; et dans la crainte que m'inspirait mon lit dégoûtant, j'y restais tout en monceau, comme si cette attitude m'eût mieux préservé que de m'étendre à mon aise. Cependant la prière me tira d'affaire sous ce dernier rapport. Dans ma tristesse, je me mis à réciter ces vers :


Je viens donc, Rédempteur fidèle,
Loin du monde et de son fracas,
Me réfugier sous ton aile,
Et me coucher entre tes bras. [19]

Et pendant même que je prononçais ces derniers mots, je m'étendis courageusement, en pleine paix ; puis je dormis comme un enfant ; sauf pourtant que, dans la nuit, l'un des hommes qui couchaient dans le même galetas, se leva, alla essayer si le verrou de la porte était bien fermé en dedans, essaya d'ouvrir ou de mieux fermer, je n'en sais rien, bourra la porte avec un juron, puis resta plusieurs minutes sans mouvement vers cette porte. Je n'ai jamais su ce que cela voulait dire. Mon imagination s'effraya, et je soulevai la tête sans bruit pour savoir ce qu'il voulait. Le duvet ne m'avait pas fait transpirer jusqu'à ce moment ; mais cette incertitude s'en chargea. Enfin mon homme retourne dans son lit ; et alors je m'enhardis à lui dire en italien : Vous ne pouvez pas ? (je voulais ajouter le mot ouvrir ; mais ce mot me manquait pour le moment). — Si, posso, me répondit-il rudement ; — je ne sais ce qu'il sous-entendit, lui. Cependant je me rendormis bientôt profondément, pour me réveiller de nouveau sur quelques-uns de leurs mouvements, puis me rendormir encore. Enfin je me levai à cinq heures et demie ; il n'y avait plus là que l'un de mes hommes. Je voulais payer ma belle hospitalité ; mais je ne trouvai personne pour recevoir l'argent : j'en laissai sur la table plus qu'ils n'en méritaient ; et je partis à pied, encore sans prendre aucune nourriture, mais toujours souffrant. Le pays s'embellit peu à peu ; et à six heures et demie j'arrivai chez Mohr, cher et excellent frère, le pasteur protestant de Bondo. Il déjeunait avec sa famille ; mais là encore je ne pris rien, qu'une drogue que m'avait donnée le pharmacien de Chiavenna ; puis, pour bouillon, de l'eau chaude dans laquelle on avait fait fondre un morceau de beurre frais ! J'éprouvai encore une fois des douleurs presque excessives : mais j'élevai d'autant plus mon cœur à Dieu ; et, je pris en même temps une bonne résolution (je fis un vœu) qui devint, je crois, la source des bénédictions vraiment signalées que j'ai éprouvées dès ce moment, dans le reste de mon voyage, pour le corps et pour l'âme. À midi on se mit à dîner ; moi avec, et de grand appétit. Je restai étendu une grande partie de l'après-midi ; mais ensuite je me promenai un peu ; je soupai gaîment ; puis le lendemain matin, vendredi 13, je partis à pied, avec mon havre-sac, comme si de rien n'était, pour monter un peu plus tard, en compagnie d'un guide, une montagne couronnée de neige, et faire, ce jour-là, de treize à quatorze lieues. [20]


Le reste de mon voyage fût extrêmement heureux ; mais ce récit s'est déjà tellement allongé que je crois devoir briser ici. Je dirai seulement que, de retour à Lausanne, je logeai chez mon cher ami, M. le pasteur Fivaz, dans sa belle campagne, d'où l'on avait une vaste vue sur le lac de Genève. Là, à la veille de me retrouver parmi les miens après un si terrible voyage, et devant le spectacle enchanteur que présentent ces contrées, je passai quelques heures d'un bonheur dans lequel fut entraîné mon ami lui-même, et dont nous nous souviendrons à jamais. « Quelle douceur ! quelle douceur ! » m'écriais-je continuellement à la vue de ce paysage en effet si doux et si ravissant.

Que sera-ce au ciel !

Le lac de Genève, Vevey, Alfred de Chavannes
Lac Léman, Vevey, Alfred Chavannes
Ami Bost,
Mémoires

Notes :

1 - Voir carte topographique de la Suisse

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : poids et mesures, le pied.

Ami Bost devait certainement prendre comme référence le pied de Paris (32,48 cm) ; le pied de Berne correspond à 29,33 cm.

Une lieue correspond à la distance parcourue par un homme en une heure (sur terrain plat), soit environ 4 km.

2 - Les initiales BAI, pour Bost Ami Isaac.

3 - Voir Wikipédia : Zwinglihaus, la maison natale de Zwingli, à Wildhaus (canton de Saint-Gall)

4 - Oberhoffen est situé sur le lac de Thoune (560 mètres), le Beatenberg est en amont (vers 1200 m)

5 - Voir Dictionnaire historique de la Suisse : batz

Le batz est une monnaie bernoise (correspond au bache dans le canton de Vaud).

6 - Voir Dictionnaire historique de la Suisse : Col de Susten (2260 mètres), reliant reliant Meiringen (ou Meyringen, vallée de l'Arre, en amont de Berne) à Wassen (ou Vasen, vallée de la Reuss, canton d'Uri).

7 - Le Salève culmine à 1379 mètres, le lac de Lucerne est à 434 mètres, le village de Gadmen est à 1205 mètres d'altitude : c'est là qu'Ami Bost passe la nuit, avant l'ascension du col de Susten, à 2260 mètres, soit 1000 mètres de dénivelé.

8 - Voir Wikipédia : Le pont du Diable (Teufelsbrüche) dans les gorges des Schöllenen, sur la Reuss, se situe en aval d'Andermatt.

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : Schöllenen

Voir office du tourisme d'Andermatt > Schöllenen & Teufelsbrücke

9 - un trapon est une petite trappe.

10 - Wassen est à 900 mètres, Andermatt à 1447 mètres, le col de l'Oberalp est à 2044 mètres, relie le canton d'Uri à la Surselva (vallée du Vorderrhein) dans le canton des Grisons.

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : col de l'Oberalp

Voir office du tourisme de la Surselva

11 - Le hameau dont il est question est Rueras (ou Ruœras, 1410 m).

12 - Épître aux Colossiens, 3, 1-2 : Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d'en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu. Affectionnez-vous aux choses d'en haut, et non à celles qui sont sur la terre.

En latin : Igitur si conresurrexistis Christo quae sursum sunt quaerite, ubi Christus est in dextera Dei sedens, quae sursum sunt sapite non quae supra terram.

13 - Il s'agit du romanche.

14 - Voir Dictionnaire historique de la Suisse : Landamman de la Suisse

15 - Il s'agit de sa fille unique, Marie Bost (Ami Bost a aussi dix fils).

16 - De Coire (595 m), il se rend à Splügen (1457 m). Il passe le col de Splügen, col frontalier entre les Grisons et l'Italie (2115 m), il descend ensuite à Isola (1260 m) puis Chiavenna.

Chiavenna est à 90 km de Coire.

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : col du Splügen

17 - Le village de Piuro (en allemand Plurs) a été ensevelli par un éboulement du mont Cotto, le 4 septembre 1618, provoquant 2000 morts.

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : Piuro

Voir Polaris : la frana di Piuro

Voir YouTube : reconstitution

18 - De Chiavenna, il va dormir à Castasegna, ville des Grisons, à la frontière puis il se rend à Bondo. Le Val Bregagli (haute vallée de la Maire) sur le versant sud de la ligne des crêtes. C'est une vallée italienne des Grisons.

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : Val Bregaglia

19 - Voir Cantique

20 - Il passe le col du Septimer (2310 m) puis Lenz, au sud de Coire.

Voir Dictionnaire historique de la Suisse : col du Septimer

Mémoires par Ami Bost (1854) : I & II - III (supplément)



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